You are currently viewing Résistance et soumission – Dietrich Bonhoeffer pasteur sous le régime nazi
Mémorial des membres de la résistance allemande exécutés à Flossenburg le 9-avril 1945
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Résistance et soumission, lettres et notes de captivité de Bonhoeffer

résistance et soumissionRésistance et soumission a été publié aux  éditions Labor et Fides en 1963 et rééditée en 2006. L’édition originale allemande Widerstand und Ergebung, date de 1951. Le livre  a été composé par  Eberhardt Bethge,  son ami et biographe, à partir des lettres écrites par Bonhoeffer, à la prison de Tegel à Berlin.

Bonhoeffer, un pasteur allemand, résistant au nazisme

Dietrich Bonhoeffer (4 février 1906-9 avril 1945) est un théologien luthérien allemand et un pasteur de l’Eglise confessante. Cette Eglise refuse tout lien entre christianisme et nazisme.

Dès la prise du pouvoir par Hitler, il prend position contre ce régime politique, à cause des mesures d’exclusion qui interdisent aux Juifs tout emploi dans l’administration.

En 1938, il se joint secrètement au réseau de résistance de l’amiral Wilhelm Canaris, alors chef de service du contre-espionnage de l’armée allemande.  Officiellement agent du contre-espionnage, Bonhoeffer voyage en Suisse et en Suède pour faire connaître aux Alliés l’opposition existante contre Hitler, mais sans succès.

Arrêté en avril 1943, sous prétexte d’avoir voulu échapper au service armé grâce à ses déplacements, Bonhoeffer est emprisonné à Berlin Tegel jusqu’en octobre 1944. Il aurait pu être libéré si son procès avait eu lieu assez tôt.

Après l’échec de l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, on découvre dans les archives du contre-espionnage de Canaris des documents secrets s’opposant au régime, avec les noms des participants, dont Canaris et Bonhoeffer.

Il est transféré dans une prison de la Gestapo puis déporté dans divers camps de concentration. Il est exécuté le 9 avril 1945 au camp de Flossenbürg, en Bavière, avec les membres du réseau Canaris

Résistance et soumission sera vu dans une approche thématique à trois axes :

1 souffrances et dignité d’un prisonnier

2. vie en commun limitée mais efficace,

3. réflexions philosophiques et théologiques d’un chrétien lucide sur son temps et les relations de l’homme avec Dieu.

Il fera quelques allusions comparatives à l‘Ethique et à De la Vie communautaire.

Souffrances et dignité d’un prisonnier politique

Emprisonné le 5 avril 1943 à Tegel, Bonhoeffer organise sa vie en cellule. Il essaie de maintenir son équilibre psychique avec un emploi du temps quotidien détaillé dans la lettre du 13 octobre 1943[1]. Il y applique sans doute le modèle et les principes de  la journée du Fidèle de sa  Vie communautaire [2]

Si des chrétiens peuvent vivre dans une communauté déjà visible sur la terre, ce n’est que par anticipation au Royaume à venir.  Les prisonniers, les malades, les isolés de la dispersion, les prédicateurs missionnaires sont seuls. Cependant, ils saisissent par la foi ce qui leur est refusé en tant qu’expérience. .. La vie entre chrétiens est un don du royaume de Dieu qui peut nous être repris chaque jour, et nous pouvons d’un instant à l’autre être précipités dans la solitude la plus totale[3].

Adaptation à la solitude par la méditation et la prière

II s’adapte à sa solitude forcée : En refusant d’être seul, tu rejettes l’appel que le Christ t’a adressé personnellement[4] . Il accepte son sort[5] : Nous n’avons pas d’autre possibilité que d’attendre patiemment et sans nous aigrir, dans l’espoir que tous font ce qu’ils peuvent pour clarifier la situation au plus vite ».[6]

Ainsi, par la méditation quotidienne[7].. .et la prière personnelle[8], le recueillement. . .il  a réussi à faire pénétrer si profondément la parole de Dieu dans le cœur du fidèle, qu’elle peut le soutenir et le fortifier tout le long du jour »[9] : il lit et médite sa Bible, se récite les Cantiques de Paul Gerhardt, un compositeur allemand de cantiques du 17e s[10].

Reconnaissance pour les petits bonheurs

Dès qu’il a le droit d’écrire, il rassure ses parents : Il dispose de sa Bible, rendue au bout de trois jours, de journaux… de livres de la bibliothèque, de papier à lettres[11]. II parle de ses lectures : Stifter dont les personnages sympathiques ont une influence bienfaisante[12] . Il se rappelle avec émotion le passé heureux : soirées d’été, fêtes de famille … [13] ; il exprime sa reconnaissance pour une journée qui… apporte des lettres[14].

C’est une sensation étrange de dépendre absolument . .. du secours des autres. Mais une telle situation vous apprend à être reconnaissant . . . Seule la gratitude enrichit une vie[15]

Difficultés de l’incertitude

Mais son isolement de prisonnier et surtout l’incertitude sur son avenir sont plus pénibles qu’il ne veut l’avouer. Son impatience devant les retards et ajournements de son procès, il l’attribue au désir d’organiser sa vie :

Je préférerais qu’on nous dise d’emblée la durée probable de la détention, J’aurais pu développer mon travail tout autrement et le rendre ainsi plus fécond[16]

mais il le regrette presque aussitôt :

En relisant cette lettre, je constate que le ton en est mécontent. Ce n’était pas mon intention et cela ne correspond pas à la réalité. Autant je désire sortir d’ici, autant je sais qu’aucune de ces journées n ‘est perdue[17] .

Entre la « douche écossaise de l’espoir ; Il semble que ma situation va évoluer, et j’en suis très heureux[18] et,  de la déception due aux atermoiements :

Le fait qu’on veuille me laisser passer Noël ici dépasse mon entendement [19], :

Lorsqu’on vous assure avec précision que votre affaire sera close en juillet 1943, puis en septembre 1943 dernier délai, et que les mois passent sans que rien n ‘arrive, …on tombe finalement, malgré tous les efforts de patience et de compréhension, dans un état où il vaut mieux ne pas écrire des lettres [20].

Il exprime sa gratitude pour l’éducation familiale qui l’a préparé à de telles circonstances. Ce n’est qu’en de tels moments qu’on découvre le prix d’un passé et d’un héritage intérieur qui sont indépendants du changement des temps et des circonstances[21]

Il refuse l’apitoiement, des autres et de lui-même :

Je sens en moi une vive résistance en lisant dans certaines lettres des allusions à ma souffrance. ». On n’a pas le droit de dramatiser les choses. Maints aspects de la vie d’ici sont abominables, bien entendu; mais où n’est-ce pas le cas [22]?.

Nostalgie

Pourtant, le 15 mai 1943[23], la nostalgie contenue s’échappe ;

Tout à coup, la paix et le calme sont ébranlés, – « comme par une irruption de puissances mauvaises » « et le cœur devient cette chose obstinée et abattue qu’on ne peut sonder[24].

Combien lui manque, « dans l’atmosphère glaciale de la captivité, la chaleur qui provient de l’affection d’une femme et d’une famille[25].

Fiancé à Maria von Wedemeyer, juste avant son arrestation, il mentionne ses visites par un M. discret[26].

Mais après s’être excusé auprès de son ami, avec beaucoup de retenue, d’écrire un peu de poésie… le tout …en quelques heures et pas remanié… Je refoulerai éventuellement de tels élans à l’avenir, et je passerai mon temps de façon plus utile »[27], il laisse exploser dans son poème « Le passé »[28], composé après de brèves visites suivies d’une longue séparation[29] les sentiments passionnés qui n’ont jamais pu s’exprimer librement.

Tu t’en allas, bonheur bien aimé et douleur chèrement aimée.
Comment t’appellerai-je ? Détresse, vie, félicité,
Part de moi-même, mon cœur,- mon passé?
La porte se referma.
J’entends tes pas s’éloigner et se perdre lentement.
Que me reste-t-il? De la joie, du tourment, du désir?
Je sais seulement: tu t’en allas – et tout est passé….

Détresse profonde

C’est aussi à l’ami qu’il confie la détresse profonde de sa véritable situation

Malgré tout ce que j’ai pu écrire, c’est horrible ici; …des impressions atroces me poursuivent …  je ne me remets qu’en me récitant d’innombrables strophes de cantiques…et la journée commence par un soupir plutôt que par une louange de Dieu….. J’ai l’impression d’avoir vieilli de plusieurs années sous l’effet de ce que je vois et entends; le monde devient un fardeau que je prends souvent en dégoût[30]

Il la décrit plus précisément dans le rapport des premiers jours de sa détention : une cellule aux couvertures puantes…un morceau de pain jeté à terre… des insultes et des moqueries, ni correspondance, ni visites, ni promenades .. .[31]

A-t-il été tenté par l’idée du suicide ? Il l’évoque peut-être dans la première lettre à Eberhardt Bethge :

J’ai été gardé, pendant ces journées, de toute tentation grave. Acedia – tristitia, (la tristesse amère)  avec ses conséquences menaçantes, m’a souvent tendu un piège.

C’est avec la résolution de la repousser.

Mais dès le début, je me suis dit que je ne ferai ce plaisir ni aux hommes ni au diable; qu’ils s’en chargent eux-mêmes s’ils le désirent; j’espère tenir bon, de ne pas se poser de questions sans réponses, si c’était vraiment pour la cause du Christ. Il est certain que sa mission consiste justement à accepter une situation … ambiguë [32].

Choix assumés

Il n’y fera plus allusion par la suite. Au contraire, il assume totalement ses choix :
La cause pour laquelle je serais condamné est si indiscutable que je ne pourrais  qu’en être fier[33]. Sache que je n’ai jamais regretté un seul instant mon retour en 1939[34] ou quoi que ce soit de tout ce qui est arrivé ensuite. J’ai agi dans une sérénité absolue et en toute bonne foi…. Que je sois arrêté maintenant,.: s’inscrit dans la participation au destin de l’Allemagne[34].

A suivre

[1] Résistance et Soumission, 4 juin 1943, p. 30
[2] De la Vie communautaire, p. 75 s
[3] De la Vie communautaire, p. 13,14
[4] De la Vie communautaire, p. 75
[5] Résistance et Soumission, 5 mai 1943, p. 19
[6] Résistance et Soumission, 14 juin 1943, p. 31
[7] De la Vie communautaire, p. 80 s
[8] De la Vie communautaire, p. 84 s
[9] De la Vie communautaire, p. 88
[10] Résistance et Soumission, 14 avril 1943, p. 17
[11] Résistance et Soumission, p. 17
[12]Résistance et Soumission. 4 juin 1943, p. 30
[13] Résistance et Soumission, 3 juillet 1943, p. 34
[14] Résistance et Soumission, 13 septembre 1943, p. 40
[15] Résistance et Soumission, 13 septembre 1943, p. 40
[16] Resistance et Soumission, 25 septembre 1943, p. 41
[17] Résistance et Soumission, 25 septembre 1943, p. 42
[18] Résistance et Soumission, 22 octobre 1843, p. 44
[19] Résistance et Soumission, 7 décembre 1943, p. 49
[20] Resistance et Soumission, 20 février 1944, p. 51
[21]Résistance et Soumission, 7 décembre 1943, p. 49
[22] Resistance et Soumission, 3 mars 1944, p. 109
[23] Jour du mariage de son ami et futur biographe Eberhard Bethge avec sa nièce Renate Schleicher
[24]Résistance et Soumission, 15 mai 1943, p. 21
[25]Résistance et Soumission, 14 juin 1943, p. 32.
[26] Résistance et Soumission, 5 mai 1943, p. 19, 25 décembre 1943, p.30,4 février 1944, p. 96
[27] Ibid.
[28 ] Résistance et Soumission, p, 190 s
[29] Résistance et Soumission, 5 juin 1944, p. 143
[30] Résistance et Soumission, 15 décembre 1943, p. 78
[31] Résistance et Soumission, Récits de captivité, p. 54
[32] Résistance et Soumission 18 novembre 1943, p. 61
[33] Ibid., p. 63
[34] De New York où il n’est resté que quinze jours en juin 1939, préférant partager le sort de ses compatriotes
[35] Résistance et Soumission, 22 décembre 1943, p. 86

C. Streng

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