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Précis d’histoire des religions – J.-M. Nicole

1. Présentation du Précis d’histoire des religions

Le Précis d’histoire des religions, de Jules-Marcel Nicole [1], n’est pas un livre récent mais un point de départ indispensable pour qui aimerait en savoir un peu plus sur les religions du monde.

Cet article reprend et réunit en un seul texte trois recensions de lecture faites par le même auteur, et précédemment mis en ligne  :

1. Précis d’histoire des religions, présentation;
2. Précis d’histoire des religions, animisme et Antiquité ;
3. Précis d’histoire des religions, de l’Antiquité à nos jours

Introduction

Dans l’introduction, l’auteur indique les limites de son ouvrage : c’est un précis, qui présente de manière succincte mais exacte les grandes religions « en dehors du courant de la révélation biblique de l’Ancien et du Nouveau Testament ».

Objectif

Il en expose ensuite l’objectif principal :  « faire connaître sommairement aux chrétiens les autres religions »

– pour mieux comprendre les allusions aux croyances des peuples païens dans les textes bibliques,

– pour établir un état réel de la vie spirituelle et morale du paganisme contemporain et susciter un intérêt missionnaire,

– pour avoir un minimum d’informations afin de répondre aux propagateurs des philosophies orientales et de l’Islam et avertir ceux qui pourraient être séduits par ces spiritualités.

– pour comparer ce que Paul dit du païen qui a une certaine connaissance du vrai Dieu et de sa volonté mais s’est égaré à cause de sa rébellion (Romains 1.19) avec les observations des ethnologues.

Religions et magie

Après avoir expliqué brièvement le vocabulaire des systèmes religieux- monothéisme [2], hénothéisme [3], polythéisme [4], athéisme, animisme – J-M Nicole apporte quelques précisions et des distinctions éclairantes sur les rapports entre religion et magie :

la religion établit une relation de dépendance, la magie établit un rapport fondé sur la manipulation.

Plan

L’ouvrage lui-même est divisé en plusieurs parties de longueur inégale.
La première partie, en deux chapitres, présente les religions animistes, dans les peuples dits primitifs puis dans les peuples africains et malgaches.
Dans la deuxième partie, les religions de l’Antiquité, il est intéressant que l’auteur ne s’arrête pas seulement aux religions les plus connues, égyptienne, grecque ou romaine souvent citées dans les livres d’histoire ou dans les ouvrage de culture historique générale ou spécialisée. Il fait aussi découvrir au lecteur des croyances moins connues et moins citées comme la religion cananéenne et des pays voisins d’Israël, la religion perse, et plus proche de nous, la religion germanique et la religion celtique.

La dernière partie, la plus longue, fait un exposé des religions contemporaines. Elle est assez brève pour le Japon, un peu plus détaillée pour la Chine, et beaucoup plus développée pour l’Inde dont les diverses spiritualités ont largement dépassé les frontières du pays pour se répandre dans tout l’Est asiatique et même en Europe. Elle se termine par une étude assez exhaustive, historique et doctrinale de l’islam, avec un aperçu de quelques unes de ses divisions et dissidences.
L’auteur suggère quelques pistes de réflexion à propos de l’opposition des musulmans vis à vis de la foi chrétienne mais il insiste aussi sur certains points qui pourraient favoriser le contact et l’évangélisation de personnes que nous sommes souvent amenés à côtoyer.Trois cartes en noir et blanc, sur la répartition mondiale des peuples primitifs, l’expansion du bouddhisme et les conquêtes musulmanes ainsi qu’un index assez détaillé et une bibliographie volontairement réduite terminent le livre dans ses dix dernières pages.

2. Animisme et religions antiques : des conceptions religieuses distinctes

Du livre Précis d’histoire des religions, on retiendra particulièrement la distinction dans l’animisme entre les conceptions religieuses des peuples dits primitifs et les religions des peuples africains et malgaches.

Peuples dit primitifs

Même éloignés les uns des autres sur l’ensemble de la planète, les peuples dits primitifs ont gardé dans l’animisme des conceptions religieuses convergentes et relativement exactes dans leur ensemble même si elles sont entachées de naïveté et d’anthropomorphisme[5]  : la croyance en un Dieu unique créateur, une certaine idée de l’éternité, de l’au-delà et de la survie après la mort, une morale assez élevée.

Peuples africains et malgaches

En revanche, chez les peuples africains et malgache, la croyance au Dieu suprême subsiste toujours plus ou moins, mais son culte a pratiquement disparu, soit à cause de son éloignement supposé, soit parce qu’il est remplacé par des intermédiaires plus proches comme les esprits bienfaisants ou malfaisants et les âmes des défunts.On accorde ainsi une importance primordiale aux cérémonies funèbres, aux pratiques comme l’initiation, le fétichisme et la sorcellerie ou encore au vaudou que l’auteur a suffisamment esquissé pour qu’on s’en fasse une idée. On peut cependant retenir, pour un pont avec la foi chrétienne, le culte centré sur les sacrifices d’animaux en expiation pour des fautes commises.

Religions de l’Antiquité

Si les religions de l’Antiquité les plus connues, égyptienne, grecque et romaine, figurent aussi bien dans les manuels scolaires d’histoire ou d’initiation aux langues anciennes que dans des ouvrages de vulgarisation, on appréciera l’approche concise des religions voisines de l’Israël antique.

La création et le déluge bibliques et les mythes cosmogoniques[5] mésopotamiens

En particulier, en introduction à une étude beaucoup plus poussée à laquelle il invite d’ailleurs tout au long de son ouvrage, l’auteur établit des comparaisons entre la création et le déluge bibliques et les mythes cosmogoniques de la religion mésopotamienne. Il souligne aussi les aspects négatifs (cruauté et prostitution) et positifs (notion du sacrifice, code de loi d’Hammourabi) de cette religion qui n’a pas survécu à l’invasion perse avec Cyrus le Grand au 6e siècle avant J.-C.

La religion cananéenne

La religion cananéenne a été en contact proche avec la religion juive au point qu’il y a eu des contaminations dénoncées par les prophètes bibliques. On retiendra surtout l’accent mis sur la déviation de la notion de sacrifice, avec des sacrifices humains et des pratiques immorales comme la prostitution sacrée. On comprend ainsi un peu mieux la sévérité des mesures ordonnées par Dieu pour l’extermination de ces populations.

La religion perse

Quant à la religion perse, elle « plonge ses racines dans un lointain passé, mais continue à être pratiquée par le quelques milliers de Parsi en Iran et en Inde ».Une certaine tendance au monothéisme avec Zarathustra, (6e, 7e siècle avant J.-C) a conduit les grands souverains perses des 6e au 4e siècles avant J.-C comme Cyrus, à favoriser les Juifs.

Le mazdéisme et le manichéisme

Après l’effondrement du zoroastrisme devant les troupes musulmanes au 7ème siècle, le mazdéisme a prévalu avec un dualisme très poussé entre le principe du bien et celui du mal. Ces tendances dualistes ont subsisté au Moyen-Âge chez les cathares[6] en particulier.Un des avatars de cette religion, le manichéisme, mélange de « zoroastrisme, bouddhisme et christianisme » a connu ses heures de gloire aux 4e et 5e siècle jusqu’en Afrique du Nord et influencé S. Augustin avant sa conversion.

Les religions celtiques et germaniques

L’évocation rapide de deux religions européennes disparues officiellement, comme les religions celtiques et germaniques, présente un certain intérêt culturel pour le lecteur cultivé qui s’intéresse à l’histoire, à la linguistique et à l’ethnologie. Surtout, sont retracées les grandes lignes de pratiques qui n’ont pas aussi totalement disparu qu’on voudrait le croire mais qui subsistent de manière ouverte dans le folklore ou dissimulée dans des mouvements occultes plus ou moins avoués dont le plus connu fut le nazisme, avec ses résurgences actuelles. Il suffit de faire une recherche thématique sur Internet pour s’en rendre compte.

3. Les religions de l’Antiquité à nos jours

Plus de la moitié des pages du livre Précis d’histoire des religions sont ensuite consacrées aux religions actuelles. Elles en retracent l’évolution depuis l’antiquité jusqu’à nos jours.

Les religions de la Chine

En Chine on parle de « trois religions » : une combinaison du confucianisme – une philosophie éthique sociale et politique, du taoïsme – panthéiste, qui accorde peu d’importance aux pratiques religieuses visibles, et du bouddhisme – tel qu’il a évolué, passant d’une religion athée à des cérémonies idolâtres avec temples et statues, religions auxquelles il faut ajouter « le marxisme qui continue à influencer la société ».On retiendra la conclusion de J.-M. Nicole qui déplore un éloignement de plus en plus grand de la vérité mais espère que le vide créé par le marxisme ouvrira une voie favorable à l’évangélisation

Les religions de l’Inde

L’auteur consacre ensuite plusieurs chapitres aux religions de l’Inde. Il situe chacune d’entre elles dans son contexte historique et en indique non seulement les grandes lignes mais il insiste sur les points principaux qui permettent de les distinguer les unes des autres.

Plusieurs pages (106 à 111) décrivent en détail dans le brahmanisme le système des castes avec leurs règles destinées surtout à préserver le karma des gens des classes supérieures. Elles décrivent ensuite « la voie du salut éternel » telle qu’un jeune homme de bonne famille doit la pratiquer pour favoriser son karma, échapper à la réincarnation et se fondre dans le Brahman, le principe infini.

Mais, fait remarquer J.-M. Nicole, cette religion séduisante au premier abord par la primauté donnée au spirituel, est en fin de compte effrayante : absence d’un Dieu personnel, solitude absolue face au besoin de salut, « mépris des malheureux qui auraient mérité leur sort » à cause des fautes commises dans des vies antérieures.

A propos de l’hindouisme, toujours lié au système des castes et de la réincarnation, on remarquera – par différence avec le brahmanisme – que c’est une religion beaucoup plus populaire, idolâtre, avec d’innombrables dieux, temples, statues, fêtes religieuses. Sa pratique, accessible à tous ne se concentre pas sur la connaissance mais sur la dévotion personnelle, le bhakti « qui peut avoir des allures assez nobles mais revêt parfois des formes superstitieuses et dégradantes ».Le chapitre sur l’hindouisme se termine par une nomenclature et un très bref exposé de quelques religions dérivées, en particulier la scientologie qui défraie la chronique actuelle.

La conclusion souligne les difficultés rencontrées pour l’évangélisation dans un système accueillant pour toutes les formes religieuses mais « franchement hostile à une religion qui se présente comme la seule vraie ». Elle rappelle aussi que l’évangélisation de l’Inde commencée peut-être dès le 1er siècle, avec une Église au 4e siècle s’est peu répandue au cours des siècles suivants. Cependant, avec le nombre des conversions en augmentation importante, on peut « espérer que bon nombre d’Indiens trouveront le chemin de l’Évangile »[8]

Une brève approche du bouddhisme et de l’Islam

On se permettra de passer rapidement sur le bouddhisme et surtout sur l’islam, objet de nombreuses études aussi bien dans le monde religieux que dans le monde laïque à cause de ses contacts quotidiens avec la culture occidentale.

On soulignera cependant l’intérêt d’une présentation brève, schématique mais suffisante pour une première approche de ces deux religions, en particulier les pages 133 à 136 qui font état de l’extension du bouddhisme à travers le monde.

Un minimum indispensable pour une réflexion personnelle

On pourrait en recommander la lecture à toute personne cultivée qui s’intéresse à l’histoire des religions. Mais dans une société où on lit de moins en moins, et dans certains milieux religieux où l’effort culturel est mis en doute, il pourrait être utile d’en présenter – sous forme d’exposé encore plus succinct mais agrémenté d’illustrations – les grandes lignes, les plus utiles pour les objectifs immédiats d’évangélisation et de contact.

En conclusion, on peut recommander ce livre comme un minimum indispensable, comme une base préalable, comme une ouverture à une réflexion personnelle et objective indispensable à toute étude plus approfondie des religions.

Notes

[1] J.-M. Nicole, Précis d’histoire des religions, Éditions de l’Institut Biblique 39, Grande Rue, F- 94130 Nogent sur Marne, 1990, 175 p.
[2] Croyance en un seul Dieu
[3] L’hénothéisme désigne une forme de croyance en une pluralité de dieux dans laquelle l’un d’entre eux joue un rôle prédominant par rapport aux autres et reçoit un culte préférentiel (Wikipedia)[
4] Croyance en plusieurs dieux
[5] Tendance à attribuer aux divinités des caractéristiques propres à l’homme
[6] qui se rapporte aux système de formation de l’univers
[7]Mouvement religieux dualiste, répandu au 12e s dans le midi de la France
[8] En Inde, les chrétiens étaient dans les années 2000, 23 millions (15 à 16 millions de catholiques, 6 millions de protestants), surtout dans l’État du Kerala au sud. Ils sont « particulièrement actifs pour promouvoir une plus grande égalité sociale et améliorer la condition socio économique des plus défavorisés » Cité d’après Le Monde de la Bible N° 141, mars 2002, p. 21. Depuis 2014, les chrétiens hindous subissent la persécution.

C. Streng

Dietrich Bonhoeffer : réflexions sur son temps

Réflexions sur son temps, philosophiques et théologiques

Dans les réflexions sur son temps intitulées « 20 ans plus tard », Bonhoeffer essaie de s’expliquer la situation absurde de l’Allemagne des années 40.

Sans citer de noms, il fait des allusions assez claires pour être compris. On les retrouve parfois mot pour mot dans son Ethique.

Les valeurs sont bouleversées. Le plus fort – le parti nazi au pouvoir – dicte sa loi et l’homme discipliné – l’Allemand connu pour son sens de la discipline – est prêt à obéir au diable en personne, c’est à dire Hitler et ses comparses (1).

Celui qui résiste est prêt à sacrifier toutes ses valeurs au nom d’un appel de Dieu seul à une action obéissante et responsable(2), même si cette obéissance s’oppose à l’ordre imposé et doit trouver l’équilibre entre absence de scrupule et scrupulite ou excès de scrupule paralysant(3).

Dieu demande une action responsable dans le libre risque de la foi et il accorde son pardon à celui qui devient pécheur par cette même action (4)

Le groupe de conjurés, certains aux plus hauts postes de l’Etat, avec plusieurs des membres de la famille de Bonhoeffer et des amis(5) préparèrent contre Hitler les attentats, qui tous malheureusement échouèrent. Au-delà des hommes, le Seigneur dirige l’histoire, crée le bien à partir du mal (6). Mais que faire quand le mal l’emporte ?

Dangers de la sottise et du conformisme

Bonhoeffer souligne ensuite les dangers de la sottise, une forme spéciale des circonstances historiques sur l’homme. Cette sottise l’entraîne par conformisme à n’importe quelle mauvaise action: le vote populaire qui a entraîné la prise de pouvoir du parti nazi, l’antisémitisme par imitation ou lâcheté.

La puissance des uns a besoin de la sottise des autres…Mais des hommes pourront être abîmés pour toujours (7). Un acte extérieur de libération s’impose et pour cela, pas besoin de l’avis des autres. La question ne se pose pas pour l’homme responsable.

Selon la justice immanente, le mal très rapidement s’avère stupide et inefficace (8)…Le respect des lois qui dirigent la vie humaine est incontournable, sauf nécessité absolue (9).

Peut-être est-ce une allusion aux lois sur l’euthanasie ou la stérilisation des handicapés promulguée par le régime nazi (10).

Pour lui, prière et action ensemble permettent de voir accéder aux responsabilités de l’Etat les hommes indispensables dans les situations difficiles.

Garder des distances

Pour éviter une anarchie des valeurs, Bonhoeffer demande aux chrétiens de garder des distances en un temps où des représentants de toutes les classes sociales deviennent plébéiens (vulgaires) et où une noblesse formée d’hommes de toute la société (11) subsiste par le courage, le respect de soi et des autres, des humbles et des grands (12), par la recherche de la qualité, antidote au nivellement.

Le chrétien, un instrument entre les mains du Seigneur de l’histoire

Devant la souffrance, une attitude passive n’est pas chrétienne, même si on n’est pas responsable de toute la misère du monde. Nous sommes des instruments dans les mains du Seigneur de l’histoire (13).

Depuis la guerre, l’idée de la mort nous est familière, notre vie est brisée et pourtant la mort ne peut plus nous surprendre.

Aujourd’hui, pour beaucoup, l’impossibilité de faire un plan pour leur vie aboutit à une déchéance irresponsable ou à l’échappatoire de la rêverie.

Penser et agir pour la nouvelle génération, … voilà l’attitude… à conserver (14), avec l’optimisme, une force de l’espoir pour ne pas abandonner l’avenir à l’adversaire mais le revendiquer pour soi (15)

Appel à la maturité

Bonhoeffer va développer cette perspective dans deux lettres de 1944 où il demande pour la nouvelle génération la maturité qui consiste à avoir son centre de gravité là où on se trouve et de ne pas faire des désirs inexaucés des obstacles pour soi-même et les autres. Il peut y avoir une vie accomplie malgré beaucoup de désirs inexaucés.

Le monde entre les mains de Dieu

Même si la guerre, qui détruit la nuit, au sens propre et figuré, ce qui a été construit le jour, rend la vie informe et fragmentaire, même si on ne peut plus construire son avenir sur les certitudes du passé, en vue d’un but (17), même si on n’est plus assuré d’avance, du résultat de n’importe quelle action, cette génération-là devra découvrir à travers privations, douleurs, et mise à l’épreuve de la patience (18), que le monde est entre les mains de Dieu et qu’il lui faut se contenter de garder son âme vivantede la sauver du chaos comme d’une maison en feu – au milieu de l’effondrement des biens de la vie (19) .

Ces paroles prophétiques ont été réalisées par l’invasion des troupes alliées, et l’effondrement du régime hitlérien qui a entraîné dans une apocalypse volontaire la terrible destruction des centres vitaux du pays  et la mort d’une grande partie de ses habitants.

Sens des responsabilités et engagement

Mais elles ont été réalisées aussi avec les générations suivantes dont certaines élites ont sans doute découvert la nouvelle relation demandée entre sens de la responsabilité et engagement (20).

Par la reconnaissance de leur responsabilité ou de leur lâcheté collectives ainsi que celle de la culpabilité de leurs dirigeants de la période nazie (21), elles ont pu reconstruire sur des bases saines ce qui semblait perdu dans une décadence irrémédiable.

Jusqu’à aujourd’hui, l’Allemagne s’est bien reconstruite, économiquement et socialement, peut-être encore mieux que les autres.

Mais aussi comportements infantiles et égocentriques

Bonhoeffer remarque aussi dans son entourage, des gens qui se cramponnent à leurs désirs … sont fermés à l’amour du prochain (22) et ont des comportements tout à fait infantiles et égocentriques :

J’observe ici, toujours à nouveau, qu’il y a peu d’hommes capables d’héberger en eux simultanément beaucoup de sentiments quand les avions approchent, ils ne sont que peur ; quand ils ont quelque chose de bon à manger, leur avidité triomphe; lorsqu’un désir reste inassouvi, ils ne sont que désespérés et lorsque quelque chose réussit, ils ne voient plus rien d’autre. Ils passent à côté de la plénitude de la vie (23).

Qu’en est-il de ces gens – et il faut penser ici à l’ensemble du monde occidental – qui règlent toute leur existence au niveau de leurs désirs et qui sont passés, sans réflexion de la misère au matérialisme des années 60 ?

Quelle annonce de la Parole ?

Comment annoncer la Parole dans un monde – ici l’Allemagne – où beaucoup  n’ont plus vu Dieu mais une religion officielle complice d’une idéologie destructrice aux mains d’un pouvoir oppresseur ?

La religion s’était discréditée en Allemagne, et, dans la Résistance, Bonhoeffer avait aussi rencontré des gens engagés dans une cause juste, sans être chrétiens.

Le christianisme et le Christ aujourd’hui

Il pose donc la question de savoir ce qu’est le christianisme, et qui est le Christ, pour nous aujourd’hui (24)…. Il distingue le Christ et la religion.

Υ a-t-il des chrétiens sans religion? Qu’est-ce qu’un christianisme irréligieux? Comment former une ecclesia (Eglise), sans nous considérer comme des appelés, des privilégiés sur le plan spirituel, mais bien plutôt comme appartenant pleinement au monde? (25)

Il répond qu’alors, le Christ ne sera plus l’objet de la religion, mais réellement le Seigneur du monde (26)

Il reste profondément attaché au Christ, sa foi est christologique :

Tout découle des mots « en lui ». Tout ce que nous sommes en droit d’attendre de Dieu et de demander dans nos prières se trouve en Jésus-Christ. Le Dieu de Jésus Christ n’a rien à faire avec …un dieu tel que nous l’imaginons (27).

Rejet du dieu bouche-trou et de la religion magique

Ce Dieu imaginaire, c’est celui de la connaissance encore imparfaite, du désir non comblé des hommes, un dieu bouche-trou repoussé aux limites des connaissances humaines.

Nous avons à trouver Dieu dans ce que nous connaissons et non pas dans ce que nous ignorons (28).

Dieu veut être reconnu non dans nos frustrations, nos échecs et nos péchés, mais quand tout va bien pour nous et que nous n’avons même pas l’idée de nous confier en lui, parce que nous pensons nous suffire à nous-mêmes.

Nous n’avons pas le droit de le rejeter à la limite de nos questions irrésolues. Dieu ne se laisse pas mettre en une équation que l’on pourrait faire disparaître en la résolvant, comme des problèmes humains résolus par le progrès. Il restera toujours au moins une inconnue.

C’est ce que Bonhoeffer explique par son refus qu’on introduise Dieu en fraude et sa demande qu’on reconnaisse le caractère adulte du monde (29). Il refuse une religion magique, qu’on ne propose qu’aux moments de crise, pour résoudre des problèmes.

Le chrétien, entre les mains de Dieu

Il demande au chrétien, non d’être un homo religiosus (homme religieux) mais un homme, comme Jésus l’était…

conscient de la présence de la mort et de la résurrection.., qui a renoncé complètement à devenir quelqu’un pour vivre dans la multiplicité des tâches … et des perplexités du monde. Alors on se met pleinement entre les mains de Dieu, on prend au sérieux non ses propres souffrances mais celles de Dieu dans le monde… C’est ainsi qu’on devient un homme, un chrétien (30).

Notes
1. Résistance et Soumission, p. 2 ; Ethique, p. 45.
2. Résistance et Soumission, p. 4
3. Résistance et Soumission, p. 4
4. Résistance et Soumission, p. 4
5. L’amiral Canaris, le général Von Hase, son frère Klaus et ses deux beaux-frères
6. Résistance et Soumission, p. 6
7. Résistance et Soumission, p. 7
8. Résistance et Soumission, p. 8
9. Résistance et Soumission, p. 9
10. Ethique, p. 128,130

11. Résistance et Soumission, p. 11
12. Résistance et Soumission, p. 12
13. Résistance et Soumission, p. 14
14. Résistance et Soumission, p. 16
15. Résistance et Soumission, p. 15
16. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 109
17. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 135
18. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 136
19. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 135
20. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 136

21. En particulier l’extermination des Juifs
22. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 109
23. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 140
24. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 119
25. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 120,121
26. Résistance et Soumission, 19 mars 1944, p. 121
27. Résistance et Soumission, 21 août 1944, p. 183
28. Résistance et Soumission, 25 mai 1944, p. 141
29. Résistance et Soumission, 8 juillet 1944, p. 158
30. Résistance et Soumission, 21 juillet 1944, p. 168,169

C. Streng

Bonhoeffer en prison à Tegel – entre résistance et soumission

Bonhoeffer en prison à Tegel

Vie en commun limitée mais efficace

Quelques privilèges mais peu d’illusions

Quand on se rendit compte, après quelques jours, des relations de famille de Bonhoeffer, sa situation en prison à Tegel s’améliora : une cellule plus spacieuse, des rations plus abondantes qu’il refuse par solidarité avec les autres détenus, une promenade quotidienne avec le capitaine de la prison.
Il fait remarquer l’obséquiosité de ceux qui l’insultaient peu avant : Je n’en fus pas moins honteux pour les autres, ce fut pénible (p. 56).
Avec un certain humour d’ailleurs, il évoque la visite de son oncle Paul (1).

Il peut recevoir des visites, des colis, des livres, écrire du courrier, parfois non censuré (4e dimanche de l’Avent, p. 85). Il passe du temps à l’infirmerie non seulement pour des soins qu’on lui accorde (le 31 octobre 1943, p. 46 et le 20 novembre 1943, p. 68). Mais, après le bombardement de la fin novembre 1943 sur Borsig le 27 novembre 1943, (p. 71), il y apporte son aide.

Situation désastreuse des prisonniers

Il est autorisé à faire un rapport sur la situation désastreuse où ont été laissés les prisonniers:

Une fusée a éclaté à vingt-cinq mètres d’ici; les vitres ont sauté ; l’infirmerie a été privée de lumière; à part nous, qui y étions, personne ne s’occupait des détenus qui appelaient au secours ; mais nous étions peu efficaces dans l’obscurité.
Dans ce récit, je montre la nécessité de prendre des mesures sanitaires lors des alertes. J’espère obtenir quelque chose, car je serais heureux d’être utile d’une manière quelconque en m’adressant au service compétent( Résistance et Soumission, 28 novembre 1943 p. 73).

Discussions sympathiques

Il est amené à avoir des entretiens, des discussions sympathiques (Résistance et Soumission, 28 novembre 1943, p. 72 et 73)

Les détenus qui travaillent à la cuisine ou dehors l’après-midi se transmettent la nouvelle que je suis à l’infirmerie et ils cherchent alors quelque prétexte pour monter, parce qu’ils trouvent agréable de s’entretenir avec moi. Cela n’est naturellement pas autorisé, mais j’ai eu du plaisir à l’apprendre

Il est même traité parfois avec considération :
Le sous-officier, qui m’a ramené dans ma cellule; m’a dit en me faisant ses adieux, avec un sourire gêné…: Priez donc, monsieur le pasteur, pour que nous n’ayons pas d’alerte aujourd’hui(Résistance et Soumission, 2° dimanche de l’Avent, p. 75).

Et il sait se faire respecter, même par ceux qui n’en auraient pas eu envie(Résistance et Soumission 22 novembre 1943, p. 70).

Bonheur d’une conversation avec son ami et futur biographe Eberhardt Bethge

Quelques moments forts – un entretien seul à seul avec Eberhardt Bethge, au-delà du temps réglementaire – lui procurent  un grand bonheur.

Ta visite continue de me soutenir sans cesse. Que n’avons-nous pas évoqué et appris l’un de l’autre, pendant ces quatre-vingt-dix minutes. Je te remercie encore d’avoir réussi à obtenir cette autorisation (Résistance et Soumission, Jour de Noël 1943, p. 83).

Combat pour sa vie et la vie des autres

Il mène un combat toujours renouvelé pour préserver sa vie et ne pas compromettre celle des autres, en particulier celle de son beau frère Hans Dohnanyi, arrêté aussi le 5 avril 1943 et gravement malade (Résistance et Soumission 27 juillet 1944, p. 173)

Roeder(12) aurait bien voulu ma tête, au début, maintenant, il doit se contenter d’une accusation parfaitement ridicule, qui lui vaudra peu de gloire (Résistance et Soumission, 29 novembre 1943, p. 74).
Ces jours derniers, j’ai été de nouveau en ville (pour les interrogatoires) une ou deux fois résultat très satisfaisant! Mais comme la question du délai reste sans réponse, je cesse au fond de m’intéresser à mon affaire (Résistance et Soumission, 6 mai 1944, p.126).

Entre résistance et soumission

D’où la prise de position suivante…dont l’issue ne laisse pas de doute : Bonhoeffer ne penchera jamais du côté des lâches.

Je me préoccupe souvent de savoir où est la limite entre la résistance nécessaire contre « le destin » et la soumission. Don Quichotte est le symbole de l’obstination dans la résistance jusqu’à l’absurde, même jusqu’à la folie. Sancho Pança est le représentant de ceux qui s’accommodent adroitement et béatement d’une situation donnée. La foi exige cette attitude souple et vivante. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons supporter et rendre féconde chaque situation qui se présente à nous (Résistance et Soumission, 21 février 1944, p. 101 et 102)

Dans le camp des ennemis

Son cadre de vie illustre ainsi celui qu’il décrit dans De la vie communautaire: Pas la solitude d’un cloître, mais le camp même des ennemis (De la Vie communautaire, p. 122)·
On ne lui accorde ni aumônier (Résistance et Soumission,18 novembre 1943, p. 61), ni culte dans une communauté chrétienne visible; mais il vit ainsi cette situation :

la fraternité chrétienne n’est pas un idéal humain mais une réalité donnée par Dieu ; elle est d’ordre spirituel et non pas psychique … C’est une réalité créée par Dieu à laquelle il nous est permis d’avoir part (De la vie communautaire, p. 21 et 26).

Résistance allemande au nazisme

A suivre

Notes 
(1) Résistance et Soumission, p. 155 : le général von Hase, commandant de la place de Berlin dont dépendait la prison de Tegel. Condamné à mort et exécuté pour sa participation à la conjuration contre Hitler
(12) Conseiller du tribunal militaire, chef de l’instruction du procès

C.Streng