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Estime de soi, estime de l’autre, relations avec autrui McGrath A. & J.

L’estime de soi est-elle légitime pour le chrétien ?

L’estime de l’autre est vivement recommandée au chrétien : « Tu aimeras ton prochain comme toi même » (Mt 22.39, Mc 12.31, Lc 10.27). Mais s’estimer soi même est-il légitime ?
C’est tout le dilemme posé par le livre Estime de soi, estime de l’autre (Editions Excelsis, 2002) écrit par Alistair  McGrath théologien et sa femme Joanna, psychothérapeute clinicienne.

Qu’est ce que l’estime de soi ?

C’est s’évaluer soi-même selon une échelle des valeurs. Cela semble la réaction humaine inévitable à l’image que chacun perçoit de soi-même et que les autres lui renvoient ou qu’il croit recevoir d’eux. Elle est plus nuancée que l’amour propre qui ressort plutôt du domaine de la réalisation et de l’ambition personnelles.

Image positive de soi et humilité chrétienne

La relation d’aide désire « libérer les individus de l’habitude paralysante de se dévaloriser à tort » mais la construction d’une image positive de soi ne risque-t-elle pas de nier la réalité du péché et la nécessité de l’humilité ?

Tendances opposées

Telle est la position de certains théologiens (1) opposés à juste titre à des mouvements de réalisation de soi anti ou pseudo chrétiens, tels que « la pensée positive » (2) . Ils jugent l’estime de soi » comme un prétexte pour s’adorer soi-même » alors qu’il faudrait se « considérer comme des criminels et se mettre à mort chaque jour ».

Degré minimal d’estime de sa personne

La question se pose alors du degré minimal d’estime de soi ressentie par des enfants victimes de graves malformations faciales, toujours défigurés malgré la chirurgie esthétique. Ils ont une image de soi dévalorisée, relayée par les regards et parfois les moqueries des autres.

On ne peut qu’approuver la réponse des psychothérapeutes. Ils font grandir l’estime de soi de ces enfants en leur faisant développer des aptitudes particulières, sportives ou autres pour compenser les effets dévastateurs de la malformation, et les aider à s’intégrer dans un groupe.

Limites du dénigrement

Ainsi, ce dénigrement absolu de la personne (se considérer comme des criminels), cette exigence d’humiliation volontaire (se mettre à mort chaque jour) demandés à quiconque sur le plan spirituel, ont-ils lieu d’être érigés en exigences absolues pour ceux dont l’appréciation personnelle, loin d’être une adoration de soi-même, avoisine déjà le degré zéro.
L’infirmité, la malformation, le chômage prolongé, provoquent déjà trop souvent une sorte de « mort sociale » ; faut-il y ajouter une mise à mort personnelle calculée donc légaliste qui se surajouterait, pour le chrétien converti, à l’œuvre du Christ

Equilibre à maintenir

S’estimer soi-même ne signifie pas obligatoirement s’adorer, et « se considérer comme des criminels » peut avoir des effets pervers chez des chrétiens incités par un enseignement abusif à se dévaloriser totalement et rendus de ce fait incapables d’exercer des dons utiles pour l’Eglise ou la société.

De plus les tenants de ce rejet de l’estime de sa personne se l’appliquent-ils d’abord sans réserve à eux-mêmes alors que leur position d’écrivains chrétiens réputés leur confère une notoriété très valorisante en soi.

Résolution des tensions par la croix du Christ

La croix du Christ rend possible la résolution de ces tensions entre une image négative et une image positive de soi car elle fait passer le croyant de la séparation d’avec Dieu à l’attachement à Dieu.
Et le thème de la « valeur humaine personnelle » est présent dans de nombreux passages de la Bible.

Concept de soi et relation avec les autres

C’est par la conscience de soi, liée au développement du langage, que chacun possède un concept de soi(3) qui se développe dans la relation avec les autres.

L’estime de soi résulte de l’évaluation globale de la personne qui se sent plus ou moins acceptable. Elle éprouve des sentiments agréables ou désagréables dans sa manière de réagir au jugement des personnes qui comptent dans sa vie.

Composants de l’estime de soi

Rôle social, amour d’autrui, et désir d’éternité sont les composants de l’estime de soi. Le rôle joué dans le contexte social se manifeste par la capacité d’effectuer des réalisations, en relation avec les autres.

Il contribue à l’intégration sociale et participe au sentiment d’appartenance. Les camps de concentration ont condamné de nombreuses personnes à la mort sociale en les privant de ce rôle.

Amour d’autrui et désir d’éternité

Autant et plus que la réussite sociale, l’amour d’autrui préserve l’estime de soi et peut atténuer les effets de l’échec.
Le désir d’éternité s’exprime par le désir de laisser derrière soi quelque chose de plus durable que la fragile satisfaction due à l’œuvre accomplie ou à l’approbation de quelques personnes.

On recherche alors « un critère immuable et absolu d’acceptabilité », peut-être celui « d’être digne de l’amour d’un Être Eternel ».
L’importance accordée à l’estime de soi varie selon l’interprétation que chacun en fait.

Echecs et image de soi négative

On peut expliquer un échec par une cause externe ou par une défaillance personnelle. Mais attribuer tout échec exclusivement à des carences internes à la personne favorise une estime de soi négative cyclique.

« Je ne réussis jamais parce que je suis stupide … ». « Je dois être stupide, puisque je ne réussis jamais ». On refuse donc un effort jugé d’avance inutile.

Mauvaise santé, soumission excessive, crédulité envers les jugements négatifs, instruction médiocre et « tendance à dénigrer les autres » pour se protéger par compensation caractérisent une estime de soi négative qui peut aller jusqu’à des troubles psychiques.

Troubles de la personnalité

  • La personnalité fuyante « souffre d’une faiblesse chronique de l’estime de soi » et voit dans les autres « des adversaires potentiels ».
  • La personnalité narcissique se sent supérieure. Elle utilise les autres pour arriver à ses fins, tout en ayant besoin de recourir aux psychiatres
  • La personnalité anxieuse construit des scénarios pour anticiper une situation jugée dangereuse. « Se préserver …et éviter tout danger » ou remise en question gêne la maturité et de saines relations, sans égocentrisme
  • La personnalité atteinte du syndrome de persécution a des idées délirantes, rebelles à « toute argumentation. Elle construit un système de défense très élaboré pour préserver son estime de soi menacée de désintégration »

Dépressions

Une dépression plus ou moins durable peut être déclenchée par des événements, maladie ou mort d’un être cher, perte d’emploi.

La dépression chronique est liée à une faible estime de soi. Par exemple sentiment de rejet, de dévalorisation chez des femmes orphelines de mère dans l’enfance, manquant d’intimité conjugale ou sans profession(4).

La dépression perturbe mémoire, concentration, réflexion et relations sociales et peut aboutir à la haine de soi.

L’absence de la mère pendant la petite enfance semble déterminante dans le risque de dépression. On peut le constater dans les trois stades de réaction de bébés hospitalisés : protestation avec pleurs et recherche de la mère, désespoir, détachement avec repli sur soi.
Attachement ou séparation interviennent donc entre estime de soi et fonctionnement de

la personnalité. Cependant, une relation parfaite avec les parents n’est pas indispensable et son absence n’explique pas tous les troubles psychologiques éventuels.

 

Notes

(1) Jay Adams et Paul C. Vitz
(2) Norman Vincent Peale et Robert H. Schuller
(3) Une image de soi
(4) Selon une enquête réalisée auprès d’ouvrières d’usine anglaises

En savoir un peu plus sur les  Troubles de la personnalité (borderline, évitante …)

C. Streng