Maturité émotionnelle dans les relations

 La maturité émotionnelle

Elle se manifeste dans la différentiation du soi, la capacité de rester soi-même dans ses relations avec les autres. Elle permet d’éviter la triangulation,  l’intervention intempestive dans les affaires des autres.

La différentiation : Soi solide et pseudo-soi

C’est le thème du chapitre 4, du livre de Jeanne Farmer : Je comme unique : Jésus, notre exemple

A propos de la différentiation, Murray Bowen distingue « soi solide et « pseudo-soi ».

Le soi-solide

« Le soi solide est constitué de croyances, d’opinions et de principes de vie clairement définis. …Ils sont incorporés selon les expériences et la réflexion de l’individu ». Le soi solide reste stable et non négociable même dans des situations d’angoisse et de pression … » (p. 48).

Le pseudo-soi

« Le pseudo-soi, est un « soi de vitrine », un soi que les autres peuvent percevoir. Il est constitué …de croyances …et de connaissances importants pour le groupe et le couple »…Il peut varier sous la pression émotive.

Une modification durable de la relation, par exemple si un conjoint dominant l’autre ou un enfant, déresponsabilise, et rend incapable d’un fonctionnement adéquat. L’un « paraît plus compétent … mieux différencié » (p. 49) que l’autre.

En réalité, l’un a «perdu du soi». Il a sacrifié l’exercice de ses compétences pour stabiliser la relation. L’autre en a gagné en exerçant ses compétences aux dépens de l’autre. (p. 49).

L’échelle de différentiation, un concept théorique

« L’échelle de différentiation », est un concept théorique ». Il va de 0 à 100.

– « en bas, …les psychotiques et schizophrènes,… qui n’ont pas de contact avec la réalité »,

– puis les « névrosés »,

– ensuite entre 35 et 50, le niveau « normal »,

-en haut, « les meneurs et modèles », exceptionnellement équilibrés et productifs » p. 50

De 0 à 25, « trouver du bien-être dans les relations » prend tellement d’énergie … « qu’il n’en reste plus pour des projets et une direction de vie » (p. 51). On se limite au soulagement immédiat.

De 25 à 50, la majorité. La plus grande partie du soi, est un « pseudo-soi ». Il dépend des autres et de soutiens  rigides comme « on dit que, la Bible dit que ».

De 50 à 75, « le système intellectuel et le système émotif » sont mieux différenciés. Ils permettent un fonctionnement équilibré, même en cas d’angoisse.
Le raisonnement aide à « prendre des distances par rapport à des pressions émotionnelles. Il permet de poursuivre des buts personnels » (p. 51), à exprimer calmement son avis sans attaquer ni se défendre.

De 75 à 100, c’est un « niveau hypothétique ». La différentiation, est la « capacité de rester soi-même dans ses relations ». Elle donne « la liberté de parler et d’agir pour le bien des autres » (p. 52-53) et le sien.

Différentiation dans la vie de Jésus

La différentiation est très développée dans la vie de Jésus. Il côtoie facilement des gens très différents de lui, sans être choqué ni avoir le « besoin compulsif de les changer ».

Distinguant pécheur et péché, il pardonne sur la croix à ses bourreaux. Il est indépendant, émotionnellement vis à vis de sa famille et de ses proches.

Au Temple à 12 ans, il refuse d’assumer l’état émotionnel de sa mère tout en se soumettant à l’autorité de ses parents. Il résiste à la pression de sa famille (Marc 3.20-21), à celle de Marthe et Marie au moment de la maladie de Lazare (Jean 11), à Pierre qui croit bien faire en le détournant de sa mission (Matthieu 16.21-25).

Il est capable de faire passer ses principes avant ses réflexes de survie (p. 56). Lors de sa tentation, pendant son ministère et à Gethsémané, le spirituel passe avant le matériel ; la prière est prioritaire. L’amour pour son Père l’emporte sur son émotion devant l’épreuve.

Différentiation liée à l’écoute de Dieu

Pour Jésus, la différentiation de soi est « étroitement liée à l’écoute de Dieu… Cela s’explique par sa « communion unique avec son Père céleste ». De même une communion plus intime de Dieu nous aidera à lui obéir au lieu «  de nous plier aux attentes des autres » (p. 58)

La triangulation 

La triangulation, est le sujet du chapitre 5, les triangles 

Dans une relation tendue entre deux personnes, une troisième personne intervient. L’un des partenaires l’appelle à la rescousse ou la troisième prend elle-même l’initiative de prendre parti en faveur de l’une ou l’autre. C’est une triangulation

Exemples de triangulation

Deux contre un : Dans un conflit entre B et C, A prend parti pour B. Cela crée une relation distante ou un conflit entre A et C. Ou A et B parlent entre elles de C sans l’en informer.

Le partage de « secrets » provoque une relation faussée. Elle est construite non sur une intimité réciproque mais sur des informations excluant la personne d’abord concernée.

Dans le triangle « médiateur » (p. 61), quelqu’un intervient pour empêcher ou favoriser la relation entre deux autres. Cela aboutit au résultat inverse : cela fait grandir une relation qu’on voudrait éviter ; cela empêche une relation qu’on voudrait encourager.

Le « bouc émissaire » (Edwin Friedman (1985), c’est celui sur qui se défoule quelqu’un de stressé. Il y a disproportion entre la cause limitée du reproche (un oubli, un retard) et la réaction explosive.

La triangulation est difficile à éviter. On prend souvent parti pour le premier qui a parlé. On essaie aussi de calmer un conflit qui « a des retombées pour nous »

Conséquences de la triangulation

Stress dans les relations

« La personne triangulée …subit le stress de la relation » entre les deux autres. L’intervenant, en stabilisant les relations empêche la résolution de la difficulté ». La durée du triangle peut dépasser celle des individus.

La tierce personne subit le stress de la relation : « elle se sent responsable de ce qu’elle ne peut contrôler, ou la relation ou colère des autres.

Conflit installé dans la durée

Le triangle stabilise la relation dans son état de conflit. La présence ou les tentatives de la troisième empêchent les deux autres de s’impliquer directement.

Enfin, le conflit a tendance à durer encore plus longtemps que les personnes qui le composent. Ainsi d’une génération à l’autre se transmettent des triangles. Quelqu’un de la génération suivante prend la place laissée libre dans la génération précédent.
Ainsi la vendetta corse ou les conflits de famille ou de voisinage. On est fâché pour quelque chose depuis plusieurs générations mais on ne sait plus pourquoi.

Cela pourrait être un exemple de la punition « des fautes des pères sur les enfants jusqu’à …la quatrième génération » (p. 67). Ainsi, des conflits entre clans dans des Églises usent les pasteurs les uns après les autres.

Se confier pour réfléchir

Nous avons parfois besoin de nous confier à quelqu’un qui nous aide « à réfléchir avec… efficacité » (p. 67) . Mais il vaut mieux plutôt avec quelqu’un qui ne connaît pas la personne en cause.

Limites à respecter

Se plaindre auprès du pasteur d’une personne qu’il connaît en lui demandant de garder le secret l’enferme dans la triangulation. Ce n’est pas une confession de péchés mais une affaire de relations personnelles.

Il devrait alors signaler qu’il refuse de garder le secret et en parlera à la personne mise en cause. Il acceptera cependant une discussion menée avec calme.

Dé trianguler, cesser d’intervenir

Dé trianguler, c’est dire aux deux autres notre position sur la situation et cesser d’intervenir dans leur conflit. On les laissera régler seuls ce conflit, sauf en cas de « traitement abusif » (p. 71), physique ou psychologique.

Nous n’avons pas besoin d’intervenir pour des personnes capables de se défendre elles-mêmes. Si nous sommes l’un des deux protagonistes, nous pouvons « casser le triangle » (p. 71) en renonçant à faire intervenir la tierce personne.

Gérer la confidence

On peut aussi avertir, comme le fit un pasteur, que la confidence est un « colis destiné » à la personne incriminée. Il nous a été remis « par erreur » (p. 71),

Donc on le lui transmettra, et il faut le faire effectivement. Cela provoque d’abord du « remue- ménage » (p. 73) puis la fin des critiques (camouflées) dans l’Église.

Danger des triangles dans l’Église

Les triangles formés dans l’Église à propos d’un frère, d’une sœur, ou du responsable contribuent à créer des triangles « aussi néfastes que la médisance » (p. 75) C’est en contradiction avec le processus expliqué dans Matthieu 18, où ces personnes sont mises au courant de ce qui les concerne.

« Écouter des plaintes sans le signaler à la personne concernée », favorise « la formation de clans », donc à posteriori, « de schismes » (p. 76). Cela entrave une communication normale dans l’Église.

Diseur de vérité, faiseur de paix

Familles explosives et familles cohésives

Dans le chapitre 6,l ’auteur reprend la distinction du chapitre 3 entre les familles « explosives » qui gèrent les tensions par la distance et les familles « cohésives » qui les gèrent par des « mécanismes intérieurs » (p. 77).

Dans les familles « explosives », on dit « la vérité même au risque de déplaire à l’autre » (p. 77).

Dans les familles « cohésives » on favorise l’harmonie plus que la vérité.

Les deux rôles, « diseurs de vérité » et « faiseurs de paix » (p. 78), sont nécessaires. En effet, les diseurs de vérité rendent conscient des problèmes. Les faiseurs de paix, eux, les empêchent de faire éclater l’unité de la famille. En retour ils risquent  l’agressivité et les malentendus et s’estiment mal compris. Les négociateurs ou faiseurs de paix, voient « leurs besoins plus souvent ignorés que ceux des diseurs de vérité » (p. 78).

Diseur de vérité et/ou faiseur de paix

Le couple formé d’un(e) diseur (se) de vérité et d’un(e) faiseur (se) de paix risque d’être conflictuel. Surtout s’il y a entre eux un faible niveau de différentiation.

Dans le milieu chrétien le couple qui ne se dispute pas passe pour idéal. Mais cela risque de provoquer une prise de « distance émotionnelle » (p. 78).

En général, la complémentarité stabilise le couple parce que l’un des deux, souvent le faiseur de paix « s’adapte plus que l’autre » (p. 78). Mais il a tendance à fixer en lui l’anxiété du couple et d’avoir des problèmes physiques, psychologiques ou sociaux.

Fonctionnement comme la famille ou différent

Si nous fonctionnons comme notre famille d’origine, nous agirons comme elle dans nos relations. Mais si notre fonctionnement est différent, notre comportement s’adaptera au type de relation rencontré.

Avec nos enfants, « nous reproduisons toujours le fonctionnement global de notre famille d’origine » (p. 81) surtout celle de la mère, plus proche des enfants.

Zones d’irresponsabilité et remèdes

Les deux styles de relations se valent, avec chacun leur « zone d’irresponsabilité » (p. 82).

Le diseur de vérité ne prend pas assez de précautions pour communiquer un message acceptable.

Le faiseur de paix ne dit pas assez clairement ce qu’il pense. Il accumule ainsi des ressentiments à cause de cette carence.

Donc le faiseur de vérité s’appliquera à être « plus à l’écoute de l’autre ». Il fera tout son possible pour rendre la vérité « digeste » (p. 81). « Il restera calme sans… essayer de changer l’autre, seul responsable de ses actes » (p. 83)

Fonctionnement dans l’Église

Dans une Église, le responsable a tendance à se comporter comme sa famille d’origine. Sa manière de fonctionner, « rigide ou souple » reflète son niveau de différentiation et le « stress du moment » (p. 84).

Dans un conseil d’Église composé de faiseurs de paix, le pasteur diseur de vérité aura beaucoup de liberté mais il risque de se retrouver tout seul devant.

Avec un conseil et un pasteur faiseurs de paix, il n’y a pas de conflits. Mais l’Église risque de ne pas avancer beaucoup. Si un ou plusieurs membres du conseil, diseurs de vérité, sont dans l’opposition, le pasteur sera en difficulté dans la confrontation.

La solution serait de rééquilibrer la situation en proposant l’élection de personnes mûres, diseuses de vérité et favorables au pasteur.

C.Streng