Le portement de croix – le récit de la passion du Christ

Introduction

Le Portement de croix est un grand tableau de Pieter Bruegel. 
C’est un peintre flamand du 16e s. Nous avons pu admirer le tableau et prendre des photos pendant notre visite du musée d’Histoire de l’art à Vienne en Autriche en octobre 2022.

J’ai choisi ce tableau pour la prédication du vendredi Saint. Il présente de manière originale la passion du Christ. Il situe la passion dans le contexte de la persécution de l’empereur d’Autriche contre les protestants des Flandres au 16e s.

Mon texte de référence est l’évangile de Marc 15. 16-41
Lecture du texte

Le texte de Marc et le tableau de Bruegel : deux approches complémentaires de la Passion du Christ.

Le texte et le tableau ont des points communs
·      Un supplice collectif : plusieurs crucifixions à la fois
·      Une exécution en public
·      La foule témoin de l’événement

Dans son texte Marc suit l’ordre des événements : crucifixion, partage des vêtements, mort Sa théologie de la croix est centrée sur le sacrifice et la révélation divine.

Bruegel fait une synthèse des événements. Il présente une vision panoramique, une vision d’ensemble dans le contexte des persécutions religieuses en Flandre au 16e s.
Dans son tableau il y a une multitude de personnages et de scènes.
Et le Christ est presque invisible dans la foule.

Bruegel propose une méditation sur la condition humaine et sur l’indifférence face à la souffrance.

Dans le Portement de croix tous les mouvements s’organisent en espaces dans un vaste paysage.

– Au 1e plan, Jean et les saintes femmes.
– Au 2e plan la foule va de la ville au lieu du supplice en traversant la plaine.
A l’arrière, au 3e plan, le ciel est relativement clair au-dessus de la ville. Il s’assombrit au-dessus du Golgotha. Il annonce les ténèbres qui entoureront la mort du Christ.

On peut aussi lire le tableau comme un livre depuis le haut et à gauche.
– A gauche c’est le passé : la vie « calme et tranquille » avec le chêne vivant qui berce sa branche aux feuilles bien vertes sous un ciel clair au-dessus de la ville
– Au milieu, là où tombe le Christ, c’est l’instant présent.
Tout le monde accourt vers le spectacle
– A droite, le futur et la mort, sous un ciel noir, menaçant avec l’arbre des suppliciés et sa roue des morts, et une corneille accrochée à la roue.

 

Bruegel

Bruegel est un peintre protestant, né à Anvers, mort assez jeune en 1569

Dans le Portement de croix apparaissent les répressions politiques et religieuses qui ont eu lieu à Anvers en Flandre
La population d’Anvers adopte la Réforme.

L’empereur d’Autriche, Charles Quint règne aussi sur l’Espagne et sur les Flandres (les Pays-Bas actuels). Pour persécuter les protestants (pour lui les hérétiques) il envoie des soldats, des mercenaires, les tuniques rouges.

Philippe II d’Espagne

Dès 1555 Charles Quint confie à Philippe II, son fils, les Flandres ou Provinces Unies, aujourd’hui les Pays Bas. Les Flandres étaient le plus grand centre européen du commerce et de la finance.

Philippe y séjourna cinq ans avant de retourner en Espagne, après la mort de son père en août 1559.
Sa politique allait détruire pour longtemps la puissance et le rayonnement de la région

Une prédication clandestine de la réforme à Anvers vers 1552.

La Réforme était partout traquée mais elle tenait bon
Dès 1520, des imprimeries clandestines propagent les ouvrages de Luther traduits en flamand.
La Bible est traduite en diverses langues — dont le flamand.

En 1520 paraissent les premiers édits de Charles Quint contre l’hérésie, les plakkaten ou « placards ».

« Les hérétiques, étant « séditieuses personnes, perturbatrices de notre État et de la paix commune », devaient être mis à mort, « les hommes par l’épée, les femmes par la fosse (enterrées vivantes), les relaps (revenus au protestantisme après l’avoir abjuré) par le feu. »

Philippe II fait appliquer avec rigueur les édits de Charles Quint
Sera désormais punie de mort toute personne convaincue de vendre, acheter ou lire un ouvrage hérétique, de même que quiconque demanderait la grâce d’un hérétique condamné, même son propre père ou fils

 L’évangile dans un cadre quotidien

Bruegel a peint de nombreux épisodes tirés de l’Évangile, dans le cadre quotidien de son époque.

Dans les tableaux des peintres catholiques, les personnages sacrés occupent tout l’espace.
Le Christ portant la croix est placé habituellement en gros plan à l’avant de la scène

Dans les tableaux de Bruegel, les scènes sont souvent vues de loin
Le Christ et les personnages sacrés se distinguent peu du peuple.
Le quotidien de l’Évangile est ainsi souligné.

Le quotidien de l’Évangile avec les enfants

Quelques ados enjambent les flaques dans la terre boueuse
L’un d’eux soulève une fillette et la cale contre sa hanche avant de les franchir.

Dans le texte de Marc, aucun enfant n’est mentionné. Le récit se concentre sur la violence de la crucifixion et la douleur des disciples adultes.

Dans le tableau, les enfants sont dispersés à différentes endroits, mêlés aux groupes d’adultes. Certains sont isolés dans leurs jeux, d’autres jouent ou courent dans la foule
Les enfants illustrent l’innocence face à la cruauté du monde et face à l’indifférence de certains à la souffrance du Christ.

 Le rocher

Screenshot

Un rocher monstrueux jaillit des profondeurs humides d’une crevasse.

Dans l’œuvre de Bruegel, le rocher a de multiples significations.

-La pierre qu’il faut repousser du tombeau
-La puissance dominante de la Loi et aussi de l’Église ou de l’État qui utilise la Loi à son profit.
-La permanence divine face à l’agitation humaine

Le moulin tout en haut du rocher peut être vu comme le regard de Dieu sur l’humanité

le meunier

Appuyé au moulin un petit personnage, le meunier observe la scène en dessous

Dans la peinture flamande, Dieu sur son trône de nuages était dans la même position et au même endroit. Il commandait le moulin du ciel et observait la terre avec deux doigts levés.

Le colporteur

Screenshot

Sous le moulin, au premier plan, un colporteur avec son chapeau orné de plumes de faisan dessine, le dos tourné au public.

A l’époque, le colporteur désignait parfois le protestantisme. La nouvelle doctrine avançait de porte à porte et de bouche à oreille. Tout comme le colporteur allait de maison en maison, témoin itinérant, diffuseur du récit de la Passion

L’homme en noir et le peintre

A droite du tableau, à l’écart un homme pleure, contre le grand arbre de la roue.
Avec son vêtement noir, il pourrait être un sympathisant des calvinistes

Il assiste à l’impitoyable répression des Flandres avec une compassion sincère en contraste avec l’indifférence générale.

Un peu en retrait, un autre spectateur. Peut-être le peintre lui-même, observateur discret de la scène. Une certaine ressemblance avec le seul portrait de Bruegel

 

Ces trois personnages, le colporteur, l’homme en noir et le peintre proposent différentes manières de s’engager avec l’événement sacré, et l’observation à distance à l’empathie profonde.

Le Christ caché

Au milieu du tableau, se cache le Christ, tombé sous le poids de sa croix.
Devant lui un homme en blanc, sur un cheval blanc fait écran

Un exécution publique banale

La crucifixion était une exécution publique banale sous l’Empire romain.

Les exécutions de protestants étaient aussi devenues monnaie courante dans les Flandres sous la domination espagnole.

La foule regarde, discute, s’affaire à ses occupations. Cela montre l’indifférence des spectateurs face à l’horreur de la violence de l’État

Bruegel dénonce ainsi l’aveuglement des masses devant l’injustice et la brutalité du pouvoir en place.

Simon et sa femme

Un hallebardier pointe son arme sur une vieille femme en colère. Elle se cramponne au bras de son mari.

Deux autres soldats casqués et un troisième au crâne rasé, vêtu de jaune, s’efforcent de l’entraîner.

Aux pieds de la veille femme, la jarre s’est renversée : le lait coule.
Près de la jarre, la brebis bêlante aux pattes liées que l’homme portait entre ses bras.

Pour porter sa croix, ils réquisitionnent un passant qui vient de la campagne, Simon de Cyrène, père d’Alexandre et de Rufus. Marc 15.21

L’homme, c’est Simon, originaire de Cyrène en Libye. Il revient des champs.
On veut le forcer à aider Jésus à porter sa croix trop lourde.
Sa femme a mis son tablier blanc des jours de marché. De la poche du tablier pend un chapelet.

Les anachronismes

Dans une scène de l’Évangile, le chapelet est bien sûr un détail insolite, c’est un anachronisme, un détail qui ne correspond pas du tout à l’époque.

Dans le tableau, les anachronismes sont volontaires
Le chapelet de la femme de Simon, les vêtements des religieux, les costumes du 16e s.

Les anachronismes volontaires créent une tension. Ils installent un pont entre l’histoire sacrée de l’Évangile et la réalité quotidienne du spectateur. Ils l’invitent à réfléchir sur sa propre position face au drame de la Passion.

La paysanne et les veaux

Une paysanne au bonnet blanc pousse un traîneau d’osier avec deux veaux nouveau-nés. Elle les conduit au marché.

Tout comme la brebis ligotée et jetée à terre, c’est une allusion discrète à la victime sacrificielle annoncée par Esaïe

Maltraité, affligé, il n’a pas ouvert la bouche ; semblable au mouton qu’on mène à l’abattoir, à une brebis muette devant ceux qui la tondent, il n’a pas ouvert la bouche. Ésaïe 53.7

Les tuniques rouges

Les tuniques rouges séparent le tableau au milieu par une ligne pointillée en rouge.

Comme les soldats romains au temps de Jésus, ce sont des mercenaires au service des Espagnols. Ils interviennent pour les arrestations.

 

Bruegel les montre en uniformes de son époque pour évoquer la répression espagnole contre les Flamands.

La charrette des condamnés avec la bannière des Habsbourg

Devant la charrette des condamnés flotte un drapeau rose avec l’aigle à deux têtes des Habsbourg, empereurs d’Autriche, rois d’Espagne et des Provinces Unies (Pays Bas).

Avec lui ils crucifient deux bandits, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Marc 15.27

 

Autour de la charrette des condamnés, une petite foule qui ne se soucie guère de leur sort.

Les deux brigands

Ils sont livides, tenaillés par l’angoisse.

Celui à l’avant est sans doute le mauvais brigand.
Hors de lui, bouche ouverte, désespéré il lève une tête hagarde vers le ciel qu’il croit vide

 

L’autre, hébété, s’agrippe à son crucifix serré entre ses mains grises. Il s’efforce de suivre les paroles d’exhortation d’un moine gris. Tout à l’heure, pendu à la croix, il prendra la défense de Jésus insulté par son camarade

L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait en disant : N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! Mais l’autre le rabroua en disant : N’as-tu donc aucune crainte de Dieu, toi qui subis la même peine ? Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos actes ; mais celui-ci n’a rien fait de mal. Et il disait : Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume. Il lui répondit : Amen, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. Luc 23.39-43

Au sommet du Golgotha

Bruegel représente d’autres croix avec des condamnés suspendus. Des mâts surmontés de roues montent vers le ciel, avec encore les cadavres des suppliciés de la veille

Cette multiplication des suppliciés évoque les exécutions massives d’hérétiques par l’Inquisition espagnole.

En associant la crucifixion du Christ à ces scènes contemporaines, l’artiste souligne la répétition des persécutions religieuses à travers les âges.

La crucifixion comme spectacle pour la foule

Dans Marc 15 la crucifixion est un événement public. 
Des passants se moquent de Jésus. Les chefs religieux et les soldats le ridiculisent. 
Ils montrent un manque d’humanité, une attitude hostile et insensible.

Les passants l’injuriaient en hochant la tête. Ils disaient : Hé ! toi qui détruis le sanctuaire et le reconstruis en trois jours, sauve-toi toi-même et descends de la croix ! Les grands prêtres aussi, avec les scribes, se moquaient entre eux et disaient : Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! Ceux qui étaient crucifiés avec lui l’insultaient aussi. Marc 15.29-32

Le Portement de croix est une immense fresque.

La foule ne semble pas réellement concernée par Jésus. Les gens sont absorbées par des discussions, des affaires ou d’autres distractions.

Les exécutions sont mises en spectacle.

La mort publique était un divertissement dans les sociétés d’antan.
Au Golgotha, l’exécution se passait hors des murs de la ville.

En Flandre, à l’époque de Bruegel (16e s), tout supplice était un spectacle et se déroulait sur la Grand-Place.

Lorsqu’une ville manquait d’animation, on achetait parfois un condamné auprès d’une municipalité voisine. On profitait d’un bon divertissement, et le condamné était exécuté dans les règles.

Cette banalisation de la souffrance est une critique de la société du temps de Bruegel, où les supplices et les exécutions étaient monnaie courante

Marc insiste sur le drame spirituel et la signification théologique de la Passion du Christ. Bruegel adopte une vision plus sociale et plus critique de l’humanité face à la souffrance divine.
Marc met en avant le sacrifice rédempteur de Jésus. Bruegel nous confronte à notre propre indifférence et à la répétition des injustices à travers l’histoire

Les croix plantées

Au milieu du cercle formé par le public, deux hommes ont déjà planté deux croix. Le trou de la troisième est prêt.

Dans le tableau de Bruegel, la croix est ambiguë.

Elle n’est pas seulement anachronique, comme le chapelet de la femme de Simon. Elle est douloureusement ironique.

C’est comme si on donnait pour le réconforter à un futur guillotiné, ou à un futur exécuté par la chaise électrique, un modèle réduit de l’instrument de son supplice.

L’ironie est sans doute voulue : c’est au nom du Christ et de sa croix que des hommes et des femmes sont mis à mort en Flandre

Instrument de supplice déjà dressé sur la colline du Calvaire, la croix est pourtant un signe de consolation pour le pécheur
De manière imprévisible, Dieu a fait de cet objet de honte et de douleur un signe de salut.

Jésus sous le poids de la croix

Le condamné a quitté la ville. Il est entouré d’hommes armés et d’aides
Et de soldats romains bien décidés à s’amuser à ses dépens

Figure centrale, le Christ paraît minuscule.

On le reconnaît à sa grande tunique bleue. Il n’a pas la force de porter ce lourd assemblage de poutres. Il vient de s’effondrer.
Certains semblent l’aider à relever sa croix.
Mais en fait un homme y pose même le pied. Le condamné s’y agrippe pour ne pas tomber.

Dia 22 La crucifixion

C’était la troisième heure quand ils le crucifièrent. L’inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : « Le roi des Juifs. » 15.25-26

A la sixième heure, il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure.
A la neuvième heure, Jésus cria : Eloï, Eloï, lema sabachthani ? ce qui se traduit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Quelques-uns de ceux qui étaient là l’entendirent ; ils disaient : Tiens, il appelle Elie. Quelqu’un courut remplir de vinaigre une éponge et la fixa à un roseau pour lui donner à boire, en disant : Laissez, voyons si Elie va venir le descendre de là.

Mais Jésus laissa échapper un grand cri et expira.
Le voile du sanctuaire se déchira en deux, d’en haut jusqu’en bas.

Voyant qu’il avait expiré de la sorte, le centurion qui était là, en face de lui, dit : Cet homme était vraiment Fils de Dieu. 15. 33-39

L’incognito de la lumière

Les tableaux de l’époque mettent habituellement en valeur le personnage principal.

Pour obtenir l’effet d’isolement, Bruegel élargit autour du Christ, l’espace du monde. Et il peuple la scène d’une foule immense.
Le Christ est habilement caché près du centre géométrique du tableau.

L’évènement significatif qui change le monde passe inaperçu au moment où il se produit.
C’était la troisième heure quand ils le crucifièrent.

C’est « l’incognito de la lumière » d’après une expression de l’historien Marc Bloch qui a donné son nom à l’université de Strasbourg

Un thème chrétien par excellence : la naissance du Christ dans une étable, sa mort qui semble sceller son échec définitif.
Bruegel l’a bien signifié dans ce tableau et dans d’autres œuvres

Les personnages sacrés

Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin. Parmi elles, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de José, et Salomé, qui le suivaient et le servaient lorsqu’il était en Galilée, et beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem. Marc 15.40-41

A l’avant plan, un peu en hauteur sur un rocher plat, des personnages aux costumes somptueux. Ils ne ressemblent pas aux autres, comme s’ils venaient d’une autre époque.

Vêtements raffinés au tissu luxueux et abondant, ceintures richement brodées, visages sensibles et expressifs, corps longilignes, mains aux longs doigts, larges volutes des drapés pour exprimer leurs émotions

Jean et Marie

Marie est assise sur un plateau rocheux, les yeux fermés dans un visage blême.

Jean, le visage pensif et juvénile, la main expressive, se penche un peu pour soutenir Marie qui défaille.

La femme à droite, vêtue d’une longue robe blanche et d’une tunique ocre joint les mains. Probablement une des femmes qui accompagnent Marie au pied de la croix

Marie-Madeleine

Agenouillée à gauche, Marie-Madeleine est richement vêtue. Robe jaune élégante aux manches bouffantes, ceinture brodée.

Coiffée d’un turban et d’un voile qui lui retombe dans le dos, elle penche le cou pour verser des larmes dans une grand morceau d’étoffe rouge

Des témoins directs de la souffrance du Christ. Ils représentent la compassion dans un monde d’indifférence.

Leur position excentrée – sur un plateau rocheux, à l’avant- souligne qu’ils sont marginalisés dans cette foule bruyante et indifférente.

Bruegel met en évidence la difficulté de suivre le Christ dans un monde hostile, en accord avec la spiritualité chrétienne de son époque.

Contrairement à la foule anonyme, et indifférente qui vaque à ses occupations quotidiennes, Jean et les Saintes Femmes au premier plan incarnent la vraie foi et la compassion. Ils représentent la communauté des croyants
Ils soulignent la tension entre compassion et indifférence, entre conscience spirituelle et inconscience Il met en évidence l’aveuglement moral de la société

D’un côté, le rocher inflexible de la Loi et de l’Institution
De l’autre, le Sauveur en croix qui libère son peuple et inaugure le règne de Dieu

La puissance du démon et de la mort est brisée.

Une liaison nouvelle est établie entre le ciel et la terre : la croix, nouvel arbre de vie.
La force impersonnelle et inflexible de la Loi qui exige l’obéissance, cède la place à un rapport nouveau au Dieu personnel.

Ce nouveau rapport avec Dieu n’est plus fondé sur la soumission, mais sur la relation.

Un chemin à travers le tableau

Un triangle dans le tableau relie trois masses à peu près équivalentes
–  le rocher et le moulin à l’arrière : la Loi (pour le Juif) ou le destin (pour le païen)
– le groupe entourant Marie : La vie intérieure et spirituelle, la compassion
–  les grands blocs rocheux avec des ronces au premier plan à gauche évoquent la parabole du « semeur »
Pierres et épines : des personnes chez qui le grain ne profite pas. La dureté du cœur humain

Un second axe part des roches à l’avant passe par le Christ et conduit au Golgotha
Ne serait-ce pas la solution ?

Conclusion

Comment l’Évangile de Marc et le Portement de croix de Bruegel peuvent-ils encore parler au 21 e siècle

Spectacle et indifférence publique

Dans nos sociétés actuelles, la violence et les injustices sont souvent présentées sous forme de spectacles médiatiques. Mais le plus grand nombre reste fréquemment passif, même indifférent, face aux enjeux de solidarité et de justice.

La mise en scène du portement de croix par Bruegel – où le Christ se fond dans la foule et se retrouve presque invisible – symbolise cette perte de repères. Elle exprime aussi l’aliénation de l’individu dans une masse anonyme.

Les tragédies actuelles, contemporaines, qu’elles soient politiques ou sociales, se déroulent sous le regard d’une société souvent trop distraite pour y réagir.

L’Évangile de Marc met en lumière le drame de la crucifixion du Christ, un sacrifice ultime qui interroge le sens de la souffrance et le prix de la rédemption. 
Le texte insiste sur l’humilité et la vulnérabilité du Sauveur, tout en révélant l’incompréhension et la cruauté des témoins.

Le public du 21e siècle est souvent confronté à des crises sociales et politiques (inégalités, violences, désastres humanitaires).

Alors ce récit invite à réfléchir sur la valeur de l’altruisme, le souci pour le bien des autres, et le courage de se dresser contre l’injustice.

Le Portement de Croix de Bruegel transpose le drame de la croix dans un contexte contemporain à l’artiste, avec une multitude de personnages issus de la vie quotidienne de son époque.

En montrant un Christ presque noyé dans une foule hétérogène et indifférente, Bruegel critique non seulement l’institution religieuse de son temps mais aussi la manière dont la société se détourne de la souffrance et de l’injustice.

Ce décalage entre la solennité du sacrifice et l’indifférence ambiante trouve un écho particulier aujourd’hui, dans un monde où la médiatisation de la violence et l’indifférence collective semblent souvent l’emporter sur la recherche de sens ou l’engagement spirituel.

Parallèles avec la persécution et les luttes modernes

Le récit évangélique et l’œuvre de Bruegel évoquent également la thématique de la persécution. 
Autrefois, le Christ et les protestants persécutés  comme ceux du tableau. 
Et il y avait aussi des anabaptistes. Ils incarnaient une résistance face à un pouvoir oppresseur

Aujourd’hui, les conflits politiques, les persécutions religieuses et les inégalités sociales continuent ou reprennent de plus belle. Alors ces images restent puissantes. Elles interrogent sur le rôle de l’État, la manipulation médiatique et la passivité du public face aux abus de pouvoir.

Indifférence spirituelle et quête de sens

Le 21 e siècle se caractérise par une « indifférence spirituelle » généralisée. Beaucoup se déclarent éloignés des institutions religieuses.

Le contraste entre la profondeur du sacrifice du Christ dans Marc et l’aspect presque banalisé du portement de croix dans le tableau de Bruegel invite ainsi chacun à réfléchir sur la manière dont on valorise (ou dévalorise) le sacré et l’humain dans sa vie quotidienne.

Une invitation à la réflexion et à l’engagement

Pour le public du 21e siècle, ces œuvres offrent donc une double lecture.
Elles rappellent la nécessité de se soucier des autres et de prendre position face aux injustices. Sans oublier de nous demander comment nous nous situons par rapport aux questions spirituelles dans un monde de plus en plus matérialiste et individualiste

Ainsi, que ce soit par le texte biblique ou par l’interprétation artistique de Bruegel, le message demeure actuel. 
La véritable grandeur réside dans la capacité à reconnaître la souffrance d’autrui et à essayer d’agir, à sortir de l’indifférence pour instaurer un changement social et spirituel profond.

Ces œuvres nous invitent à repenser nos priorités. Elles nous poussent à trouver, au cœur même des crises modernes, une source d’inspiration pour engager un dialogue entre valeurs humaines, spiritualité et action citoyenne.

Une foi incarnée dans un monde en crise ?

Membres et participants d’une Église mennonite bien ancrée dans la foi, nous vivons dans une société qui fait face à des crises bien actuelles : guerres, tensions sociales et écologiques, économie instable.

Bruegel a peint une foule absorbée par ses préoccupations quotidiennes, une foule indifférente à la souffrance du Christ. 
Marc 15 nous rappelle que le chemin de la croix est aussi celui de l’espérance.

Allons-nous simplement observer ? Ou allons-nous agir ?

C. Streng