Mois : octobre 2019

Comenius – L’homme image de Dieu et la conception de l’éducation

Le labyrinthe d’une vie

Comenius (Jan Amos Komensky), un chrétien engagé,  un pédagogue dans la tourmente

Paysage de Moravie République tchèque

Jan Amos Komensky (Comenius) est né le 28 mars 1592 à Nivnice, près d’Uhersky Brod en Moravie du Sud, (actuellement République Tchèque) dans une famille de l’Eglise de l’Unité des Frères de Bohême, héritière spirituelle de Jean Hus.

Après des études universitaires en Allemagne à Herborn ((1611-1613) et  Heidelberg (1613-1614), il enseigne à l’école latine de Prerov puis à Fulneck où il est nommé pasteur de la communauté de langue allemande.

Sous la persécution religieuse

Au début de la guerre de Trente ans, défaite des protestants tchèques contre l’empereur d’Autriche Habsbourg à la bataille de la Montagne Blanche, près de Prague en 1620.
Elle est suivie d’une Contre Réforme catholique féroce : exécution des chefs politiques, foi  protestante interdite, habitants contraints de se convertir au catholicisme ou d’émigrer.

Comenius y perd ses biens, ses livres,  sa paroisse et surtout sa femme et ses deux filles emportées par la peste. Il se remarie deux ans plus tard.

Dans la clandestinité, il écrit en 1623 Le labyrinthe du monde et le paradis du cœur, une allégorie qui explique sa conception du monde.

Emigré et voyageur à travers l’Europe

En 1628, il quitte son pays pour ne plus jamais y revenir. Il mènera à travers l’Europe, une existence compliquée d’émigré. Il éprouve les misères et les dangers provoqués  par la guerre et les haines religieuses. Il connaît aussi la notoriété de ses œuvres pédagogiques et philosophiques auprès des puissances politiques.  Il en  espèrera toujours, mais en vain, un secours pour sa patrie.

Oeuvres pédagogiques et linguistiques

De 1628 à 1641 à Lezno à la frontière polonaise où  les réfugiés de l’Unité des Frères, bénéficiaient de la protection de la famille protestante Leszczynski, il fait paraître ses œuvres pédagogiques principales :

  • La Porte ouverte des langues (Janua Linguarum reserata),
  • La Didactique tchèque (Didaktica ceska) (1628-1632) remaniée en latin  sous le nom de Magna Didactica (La Grande Didactique), (1633-1638), 
Grande Didactique – Didactica Magna

Ces deux ouvrages lui valurent plusieurs invitations et séjours à l’étranger :

En 1641-42 à Londres,  il participe à des travaux aboutissant à la création de l’Académie des sciences (Royal Society) ;

en 1641-1648, à Elbing en Pologne suédoise,  il écrit plusieurs manuels de langues.

Evêque de l’Unité des Frères, dispersée

en 1648-1650, deuxième séjour à Leszno.

En 1648, le traité de Westphalie attribue la Bohême et la Moravie aux Habsbourg, catholiques. Ceux-ci, selon le principe « cujus regio, ejus religio »(tel roi, telle religion)  imposent leur religion.
Un retour des fidèles de l’Unité des Frères dans leur patrie est définitivement exclu.

En 1650 , il  est nommé évêque  de l’Unité des Frères, dispersée dans toute l’Europe

D’un séjour à l’autre : oeuvres didactiques

de 1650-1654, à Sarospatak à la cour des Rakoczy princes calvinistes de Transylvanie, il travaille à des œuvres didactiques,

de 1654-1656, troisième séjour à  Leszno, : en avril 1656 il perd ses manuscrits et sa bibliothèque lors de l’incendie de la ville par les catholiques polonais.

En 1656, il s’établit à Amsterdam où le Sénat s’engage à publier l’ensemble de ses oeuvres didactiques. Il y mourra 15 ou le 25 novembre 1670.

Les chemins du labyrinthe et la clé du paradis

Le labyrinthe du monde et le paradis du cœur,  contient la clé qui aide à comprendre les choix de vie de Comenius. On peut suivre ainsi le fil conducteur de sa pensée philosophique  et  pédagogique.

Le pèlerin et ses deux guides

Le pèlerin part à la découverte du monde et des diverses activités de l’homme. Il est guidé à travers la ville symbolique par deux personnages allégoriques.

  • l’obnubilateur  impose sa manière d’envisager le monde
  •  l’ubiquiste  découvre tout, voit tout, surveille tout. 

Un monde terrifiant de manipulation

La conjonction de ces deux pouvoirs aboutit à l’image d’un monde terrifiant  où la domination des âmes est doublement assurée par la manipulation des conditions extérieures de la vision (l’obnubilation) et par la manipulation des conditions intérieures de la pensée (l’inquisition). (O. Cauly, Comenius, l’utopie du paradis) 

Mais des lunettes mal ajustées

Les deux personnages affublent le pèlerin de lunettes magiques qui font passer le faux pour le vrai, l’illusion pour la réalité.
Mais comme ces lunettes sont mal ajustées, il peut voir, en oblique,  ce qui se passe en fait et comment est produite cette illusion.

Devant le tribunal de la vanité

Le pèlerin, réticent à toutes les  sollicitations reste sur sa réserve. Il éveille  les soupçons de ses guides qui le conduisent devant le tribunal de la Vanité, reine du monde. Échappant de peu à la mort, il est tenté de désespérer d’un monde, devenu un labyrinthe sans espoir de sortie.

La vérité du paradis

Cependant, les masques …tombent. Et le pèlerin entrevoit soudain la vérité sous la forme d’un paradis …qui s’est réfugié dans l’asile d’un cœur pur.(Cauly

Modèle de l’Eglise invisible et de la cité de Dieu

C’est le modèle non seulement de l’Église invisible formée par la communauté spirituelle des âmes fondée sur la loi… de l’amour… Mais aussi d’une véritable cité de Dieu et des hommes, d’une communauté effective qui renaîtra dans la cité réunifiée (la Jérusalem céleste) lorsque les temps seront venus. (Cauly)

Comenius, homme non du désespoir ou de la résignation, mais de la nostalgie

Comenius, pèlerin entraîné dans le labyrinthe de la détresse par l’effondrement de l’Europe, particulièrement de sa propre nation, pendant la guerre de Trente ans, est d’abord habité par le désespoir devant ce  monde enténébré. Mais il ne se contentera pas cependant d’un paradis du cœur, en abandonnant le monde.

Il n’est pas l’homme de la résignation mais de la nostalgie  (vir desiderium) du paradis, du paradis tchèque. Il attend la réalisation de son désir… la renaissance de l’État tchèque. Il y consacrera son combat politique

Un projet de réforme de l’éducation pour restaurer la société

Et par son  projet d’une réforme de l’éducation,  il préparera la restauration de la société …déstructurée par la guerre  et menacée dans son identité spirituelle

Le rétablissement glorieux et le bel épanouissement… de l’Église, de l’État et de toute la nation de Bohême (quand il plaira à Dieu de restituer sa souveraineté au peuple tchèque) auront à reposer sur une reconstruction sage et circonspecte de l’enseignement. (Comenius, Projet succinct pour le rétablissement des écoles dans le royaume de Bohême)

Un projet global de restauration de l’homme

Mais cette réforme de l’éducation ne se limite pas à promouvoir la renaissance de la nation tchèque. Elle s’inscrit dans le projet global d’une restauration de l’homme à sa condition initiale, affirmée au début de La grande didactique : 

Dieu a décidé de faire renaître le paradis de l’Église et de transformer le désert en jardin de délices… par l’institution d’une droite institution efficace pour redresser l’humaine corruption … Et cela se fera principalement grâce à l’éducation soigneuse et prudente de la jeunesse.

Il n’y a aucun moyen de sortir de ce monde insensé et cruel de barbarie et d’ignorance sans l’éducation qui mène à la véritable régénération de l’homme et du monde, comme le dira  Comenius  dans Via Lucis :

Alors que le feu de la guerre embrasait les pays voisins et à partir de là l’Europe entière, et que tout dans la chrétienté menaçait de sombrer dans la désolation, je n’avais pas d’autre consolation que de voir réaliser l’ancienne promesse divine de la lumière qui, à la fin des temps, refoulerait les ténèbres.
Comme une collaboration humaine devait être nécessaire, cela ne pouvait être rien d’autre, pensais-je, que de mieux instruire la jeunesse de toutes les choses (à partir de leur fondement naturel) et par là même de sortir de ce labyrinthe du monde. (Cauly)

Un acte de résistance politique et culturelle

Ainsi, avec la  Didactique tchèque commencée en 1628, Comenius pose un acte de résistance politique et culturelle aux nouveaux maîtres de la nation tchèque.
Ceux-ci imposaient le catholicisme comme religion officielle, ils repoussaient la langue tchèque à l’arrière plan au profit de l’allemand, et sous l’égide de la pédagogie jésuite, réintroduisaient l’enseignement du latin dans les écoles primaires.

L’homme image de Dieu… en route vers le paradis

L’Unité des frères remontait à Jean Hus.

Sa  théologie de la perfectibilité infinie, est développée par Comenius :

En l’homme et dans la vie sont restées de la grâce divine de petites étincelles de lumière qu’il (lui) appartient … de raviver pour en créer une lumière claire en lui-même, en la personne des autres et pour toute l’humanité.
Le premier homme est tombé dans les ténèbres du péché. Par le sacrifice de Jésus, il peut essayer de reconquérir en tant qu’image de Dieu la perfection perdue, de racheter par une activité réformatrice fervente de toute la vie la chute du premier homme. (La grande didactique) 

Ainsi, pourra-t-il retrouver son état  premier d’avant la chute.

Il est plus naturel à l’homme et plus facile par la grâce de l’Esprit Saint de devenir sage, honnête et saint que de suivre le mal étranger. En effet, chaque chose revient facilement à sa nature… non l’état de corruption qui nous caractérise tous depuis la chute… mais la condition première, originelle à la quelle nous devons tous revenir. Après la chute et le châtiment, Dieu a greffé… dans les cœurs les boutures d’une grâce nouvelle. Et il  a envoyé son fils pour racheter la faute originelle…(La grande didactique)

L’homme peut donc être ramené à la vertu de Dieu par des moyens sûrs…, et refléter  la perfection de Dieu  par la connaissance , la vertu et la religion : c’est pourquoi nous réclamons l’instruction des chrétiens de la lignée du nouvel Adam…

En effet, l’homme, est image du Dieu omniscient. Par ses capacités intellectuelles, il naît capable d’acquérir la connaissance des choses. D’abord parce qu’ il est à l’image de Dieu… Et puisque parmi toutes les qualités de Dieu domine l’omniscience, nécessairement l’image de cette qualité resplendit aussi dans l’homme. (La grande didactique) 

Tout homme est éducable.

L’éducation, donnée ou reçue,  peut le faire sortir du labyrinthe qui le sépare de Dieu.  Elle  l’éclaire en lui ôtant  les lunettes de l’illusion qui faussent toutes les perspectives.
La pédagogie participe au rétablissement en lui de la ressemblance à l’image de Dieu, du retour au paradis  d’avant la chute.

Sur ce point, une réserve s’impose :

Le Nouveau Testament précise que la pleine restauration de l’image originelle de Dieu en l’homme commence par la nouvelle naissance opérée par le Saint Esprit. (Jean 3.3,7 ; Ephésiens 2.8-9.
C’est sur cette base essentielle que s’appuie ensuite l’oeuvre du Saint Esprit de restauration de l’image de Dieu en l’homme, en collaboration avec l’homme (Philippiens 2.12, 1 Pierre 1.10). Comenius a dû considérer la première étape comme implicite.

Le droit à l’instruction appartient à tous.

Les institutions scolaires, doivent donc être ouverts à tous.

Tous les enfants, nobles ou roturiers, riches ou pauvres, garçons ou filles de toutes les villes, cités ou villages doivent être admis dans les écoles ; voilà ce dont il faut se convaincre. (La Grande didactique)

A une époque où l’instruction était encore peu répandue et surtout parmi les plus riches, Comenius, reprend le souhait de Luther dans son Manifeste aux villes de l’Empire en 1525 . Il  demande ardemment la création d’écoles aux frais de l’État,  afin d’instruire la jeunesse des deux sexes. Même ceux qui sont destinés à l’atelier ou aux champs, doivent …recevoir régulièrement une instruction littéraire, morale et religieuse. (La Grande didactique)

Personne ne doit être exclu de l’instruction.

Les filles peuvent accéder non seulement à  l’enseignement primaire mais au delà :

Aucune raison ne justifie l’exclusion du sexe faible (je tins à y insister) de l’étude, que celle-ci se fasse en latin ou en langue vulgaire…Les femmes sont aussi également à l’image de Dieu…; elles sont douées d’un intelligence vive et d’une aptitude à la connaissance égale, voire supérieure à la nôtre …(La grande didactique)

Et aussi  les enfants peu intelligents, peut-être même des handicapés mentaux légers

On dira encore: il y a des esprits si abrutis qu’il et impossible d’y introduire quoi que ce soit. Je réponds : il y a certes des miroirs sales qui reflètent mal les images…Mais il faut commencer par nettoyer le miroir…Alors il ne refuse(ra) pas de jouer son rôle (La grande didactique)

Eduquer en tenant compte des différences

Cependant, le pédagogue ne se berce pas d’illusions à propos de l’éducabilité générale de l’homme. Il sait qu’il existe entre individus des disparités parfois considérables et il faut en tenir compte.

Mais il est possible d’instruire et d’éduquer une telle diversité de caractères avec une seule et unique méthode parce que… tous les hommes, par delà les différences d’aptitude intellectuelle ont une même et unique nature humaine dont il convient d’éduquer les organes. (La grande didactique)

L’enfant, du labyrinthe de l’école humaniste  au paradis de La Grande Didactique

Une pratique réelle de l’éducation et une véritable connaissance de la psychologie infantile

Page de titre de la Grande didactique Didactica Opera Omnia

La pédagogie de Comenius va au delà  de ses  bases éthiques et religieuses, avec la visée de la régénération de l’homme et de la sortie du labyrinthe.
Elle  n’en reste pas à des conceptions abstraites  mais elle s’appuie sur une pratique réelle de l’éducation et une véritable connaissance de la psychologie enfantine.

Une image positive de l’enfant

L’image positive qu’il donne de l’enfant, lui aussi à l’image de Dieu s’oppose à l’opinion négative qu’on en avait généralement au  17ème siècle.
Traditionnellement, l’enfant considéré comme mauvais, porté au mal, devait être soumis à une autorité  qui pouvait aller jusqu’à la répression.

Enracinée dans la tradition protestante de Bohême

Cette conception positive de l’enfance, insolite en ce 17e siècle, s’enracine dans la vieille tradition protestante et révolutionnaire de Bohême.  La vision utopique (et angélique) de la pureté de l’enfant permettait ainsi d’effectuer la critique de la corruption de l’homme et des pouvoirs établis…(Cauly)

L’enfant, le bien le plus précieux à éduquer

A Bérulle qui affirmait que « l’enfance est le plus vil et le plus abject de la nature humaine après celui de la mort », Comenius  répond qu’il n’y a rien de plus grand ni de plus estimable car elle est, à l’exception du péché originel, l’image non corrompue de Dieu. L’enfant est le bien le plus précieux que l’homme a le devoir d’éduquer. (Cauly)

Cette présence divine, il la souligne dans un passage de la dédicace de la Grande Didactique. Il y qualifie les enfants de maîtres et de modèles  vis-à-vis des grandes personnes…parce que  en eux se trouvent les dispositions les plus simples et les plus aptes à recevoir une amélioration que la miséricorde divine apporte aux causes humaines désespérées. (La grande didactique)

L’enseignement traditionnel au 17e siècle

Des classes surchargées, avec des élèves de tous les âges

L’enseignement au 17ème siècle était dispensé dans des classes surchargées, totalement hétérogènes.

Les enfants des classes sociales élevées entraient au collège dès cinq ans, puis neuf ans mais ceux du peuple entre douze et quinze ans.
Dans une classe de Cinquième du collège des jésuites de Chalons   (1618-1620), il y avait  165 élèves de 8 à 18 ans.
(Etienne Krotky, Former l’homme)

Aucune attention au niveau de maturité des enfants

Ensuite, on ne tenait aucun compte du niveau de maturité psychologique et intellectuelle  des enfants. On pensait qu’ils avaient les mêmes mécanismes mentaux et qu’ils étaient capables des mêmes performances  que les adultes.

Une aberration : faire apprendre la langue maternelle à partir du latin

Comenius dénonce l’aberration qui consiste à faire apprendre à l’enfant sa langue maternelle à partir du latin.

Il rappelle l’angoisse de l’élève, la sienne aussi quand il était élève à l’école latine, écrasé  sous le labyrinthe d’une masse de règles, de commentaires, de comparaisons de textes, de controverses, gavé  de grammaire latine y compris les exceptions et les irrégularités… hébété parce qu’incapable de savoir quel est le sens de tout cela. (La grande didactique)

Pire, dès qu’ils avaient appris à déchiffrer l’alphabet grec et alors qu’ils ignoraient encore les fondements de la langue, on leur mettait en mains des grammaires faisant état de différences grammaticales dialectales. (Krotsky)

Etudier trop vite des auteurs difficiles

Il critique aussi une habitude des écoles latines de passer aux auteurs dès que les élèves ont goûté aux règles de grammaire. Mais à quels auteurs ?
Les écoles qui veulent donner l’impression qu’elles sont les meilleures vont tout de suite … à Cicéron, à Virgile et il conseille de prendre les exemples de grammaire dans la vie courante. (Krotsky)

Des méthodes d’éducation torturantes, décevantes

Il reproche aussi aux méthodes d’enseignement d’être  si dures que les enfants considèrent l’école comme un épouvantail et une chambre de torture pour l’esprit .

La plupart éprouvent des nausées à la vue des lettres et des livres et préfèrent courir travailler chez les artisans ou faire n’importe quoi,  que de ne procurer que des résultats fort décevants. (La grande didactique)

Et inefficaces

La lavandière, l’artisan… apprennent n’importe quelle langue nouvelle, voire plusieurs, en moins de temps qu’il en faut aux élèves des écoles apprenant le latin à temps plein et à toute force…Mais  toujours pas capables   de s’exprimer sans… grammaire ou dictionnaire après quinze ou vingt ans d’études. (La grande didactique)

La Grande Didactique : une nouvelle organisation scolaire

Elle tient compte  de l’âge des enfants et de leur niveau de développement psychologique et intellectuel.

Pour Comenius, l’homme ne devient adulte que vers vint-quatre ans, avec quatre stades de développement  d’une durée approximative de six ans chacun,  caractérisés par la maturation d’une faculté ou de possibilités propres :

Quatre stages de développement

la petite enfance -INFANTIA -(de la naissance à 6 ans) – stade des sens externes et de la motricité;

l’enfance -PUERITIA -(de 6 à 12 ans) -stade des sens internes : éveil de la représentation mentale des choses;

  l’adolescence -ADOLESCENTIA -(de 12 à 18 ans) -stade de la faculté de jugement et de raisonnement;

la jeunesse -JUVENTUS -(de 18 à 24 ans) -stade du développement de l’entendement pur et de la volonté  (Comenius, la nouvelle méthode des langues – Methodus Linguarum novissima)

Quatre cycles d’enseignement

Ces quatre stades correspondent  à quatre cycles d’enseignement ouverts à tous, garçons et filles, au moins jusqu’à douze ans :

pour la petite enfance, l’école du giron maternel,

– pour l’enfance, l’école élémentaire publique, en langue maternelle,

– pour l’adolescence, l’école latine et le gymnase, (le lycée)

– pour la jeunesse, l’Académie (l’Université) et les voyages,

avec des écoles maternelles dans toutes les maisons; des écoles élémentaires dans chaque commune… un gymnase dans chaque ville, une Académie dans chaque royaume ou même  chaque grande région. (La grande didactique)

Un enseignement homogène donné de la même manière à tous

Auparavant, les maîtres s’épuisaient à dispenser un enseignement individuel à l’un et à braire contre les autres livrés au désœuvrement …et à l’ignorance. Ils dissociaient les matières naturellement liées, comme la lecture et l’écriture, et les élèves employaient des livres divers sur les même matières. (La grande didactique)

Maintenant, selon le modèle du soleil qui éclaire toute la terre de la même façon, un enseignement homogène, est donné de la même manière à tous, par un seul maître avec un même livre et les mêmes méthodes pour chaque matière.

Il s’appuiera sur des notions de base solides et concises. Il suivra une progression selon laquelle chaque nouvelle connaissance renforce celle qui la précède et ouvre la voie de celle qui la suit. (La grande didactique)

Un seul maître pourra ainsi  enseigner simultanément à une classe d’une centaine d’élèves

  • en divisant la classe en groupes de dix élèves avec des moniteurs
  • en ne donnant jamais de leçons particulières mais toujours collectives,
  • en se plaçant de manière à être vu et entendu de tous à la fois .

Les huit principes de la leçon modèle

L’auteur donne ensuite les huit principes de la « leçon modèle » qui permettent au maître d’éveiller et de maintenir l’attention des élèves et il explique les procédés de correction mutuelle des exercices écrits

Une nouvelle méthode d’enseignement

facile et agréable pour que les élèves aussi bien que les enseignants ne soient pas dégoûtés (du travail) avant même de l’aborder et avant d’en voir les résultats.
Puisse l’école cesser d’être un labyrinthe, un bagne, une prison et un lieu de détresse, et puisse-t-elle commencer à être un stade, un palais, un festin et un paradis» qui permettra « d’arriver à sortir des labyrinthes scolaires », selon le titre de l’un de ses traités. (Krotsky)

Fondements d’un enseignement et d’une étude faciles

Dans le chapitre XVII de La Grande Didactique qui porte le titre Fondements d’un enseignement et d’une étude faciles, il demande  au maître

  • d’éveiller chez les élèves le désir de savoir et d’apprendre
  • de choisir un méthode d’enseignement qui diminue la fatigue de l’élève et lui évite de se braquer  de peur qu’effrayé, il ne se détourne de l’étude (La gande didactique)

On fait violence à l’entendement (l’intelligence)

  • chaque fois qu’on contraint l’élève à accomplir une tâche au dessus de son âge et de ses forces
  • chaque fois qu’on lui impose d’apprendre par cœur des choses mal expliquées ou mal formulées et lorsqu’on exige de lui un exercice trop brièvement présenté,

Et aussi quand on lui fait apprendre des mots qu’il ne comprend pas.

Des motivations naturelles poussent l’homme à chercher la connaissance

Comenius  insiste sur les motivations naturelles qui poussent l’homme à désirer acquérir la connaissance. Ainsi,

Il n’est pas nécessaire de forcer l’œil  à s’ouvrir pour fixer les objets car, ayant soif spontanément de lumière, il prend plaisir de lui-même à regarder.

De même notre esprit a soif d’objets …Il capte toute chose sans fatigue pourvu que tu procèdes distinctement, avec l’ordre qui lui convient et une chose après l’autre (La grande didactique)

La connaissance commence par les sens

puisque rien ne peut parvenir à l’intelligence qui ne soit d’abord dans la sensation, la connaissance doit nécessairement commencer par les sens… C’est seulement lorsque l’observation de ces choses aura été conduite que la parole interviendra pour les expliquer avec profit. (La grande didactique)

Pour le jeune enfant, découverte du monde par l’observation des objets

Comenius  fait participer le jeune enfant  à la découverte du monde en lui faisant observer les objets qui le composent :

par les sens externes, il apprendra dès la maternelle à distinguer et à nommer les animaux, les éléments de la nature comme l’eau, le vent,… les membres du corps et à se repérer dans le temps.
Si l’observation directe des choses est impossible, on utilisera un livre d’images.

Pour l’enfant plus grand, développer sensibilité, imagination et mémoire

Pour l’enfant plus grand, on développera la sensibilité interne, l’imagination, la mémoire à l’école élémentaire en même temps que les organes d’exécution, la main et la langue pour la lecture, l’écriture, le dessin…le calcul, l’arpentage…et autres exercices qui font travailler la mémoire. (La grande didactique)

Un programme d’éducation complet pour l’intelligence, la langue et la main

Il propose donc un  programme d’éducation complet qui exerce à la fois l’intelligence, la langue et la main et permet à l’enfant d’acquérir des notions  et des principes par l’observation du concret, réel ou imagé.

Le Monde en images, premier livre scolaire illustré

en application des principes pédagogiques de Comenius

le Monde en images (Orbis sensualium pictus quadrilinguis) paru en 1652, est le premier livre scolaire illustré. C’ est l’application pratique la plus complète des principes pédagogiques de Comenius.

Le monde en images – Orbis pictus

avec un sous titre à caractère encyclopédique :

La peinture et la nomenclature de toutes les choses fondamentales et de toutes les actions principales de la vie humaine 

 un abrégé de l’ensemble du monde et de toute la langue … mais aussi un abrégé pictural et pédagogique, embelli de peintures, de nomenclatures et de descriptions. (Recueil d’extraits de l’oeuvre pédagogique)

Correspondance entre l’illustration et le nom de l’objet grâce à des numéros

Il permet d’établir la correspondance entre l’illustration représentant un objet  ou une notion et le nom qu’ils portent. En effet, les mots du texte portent un numéro qui correspond à l’image où l’objet est représenté.

Du simple au complexe

Le livre va du simple au complexe, avec une initiation aux métiers, comme le montre l’illustration et le texte sur l’imprimerie.

Avec un alphabet illustré

Précédé par un alphabet symbolique qui accompagne chaque lettre par  la figure de l’animal dont la voix naturelle en semble imiter le son, il sera utile pour l’apprentissage de la langue maternelle, et comme les mots traduits en d’autres langues (allemand) sont placés en regard des mots latins…, il servira  à comprendre mieux et plus facilement la langue latine. (Recueil d’extraits de l’oeuvre pédagogique)

A la base des encyclopédies enfantines actuelles

Le Monde en images fut édité jusqu’en 1910. On en retrouve aujourd’hui le principe dans les encyclopédies enfantines avec des illustrations simples, claires, et en couleurs, les mots pour  désigner les choses, un texte d’explication.

Pour l’adolescent, former le jugement, l’intelligence et la volonté

Observer, comparer, découvrir les raisons des choses

A l’adolescent, Comenius  demande aussi d’observer les choses mais surtout de les comparer et d’essayer d’en découvrir les raisons

On  passera de la pratique à la théorie par l’étude de la dialectique, de la grammaire, de la rhétorique.
Ainsi se formera le jugement et l’intelligence réflexive de tout ce qui est perçu par les sens.

Enfin, les Académies cultiveront surtout ce qui se rapporte à la volonté…pour qu’elle exerce son pouvoir légitime sur toute chose. (la grande didactique)

Pas d’enseignement avec des mots et des opinions glanés dans des livres.
Montrer comment les choses existent par elles-mêmes

Il rejette l’enseignement « par procuration » courant à son époque, qui consiste à farcir l’esprit d’un fatras de mots… et d’opinions glanées ça et là dans les livres;  au lieu d’éveiller l’intelligence en mettant les élèves en présence des choses, en leur montrant comment elles existent en elles-mêmes et par elles-mêmes. (La grande didactique)

Rendre les études faciles et intéressantes : aller du général au particulier, du facile au difficile

En même temps, il cherche à rendre les études faciles et intéressantes selon les principes du début du chapitre XVII de la Grande Didactique. Entre autres il fallait aller du général au particulier, du facile au difficile. Mais ce n’était pas appliqué pour l’enseignement du latin

Pour l’enseignement du latin aux débutants, on donnait des règles en latin

On donnait aux débutants en latin les règles de la langue en latin……un lexique latin-langue vernaculaire alors qu’il faudrait l’inverse; ce n’est pas leur langue qu’ils doivent apprendre mais le latin…un maître étranger qui ne connaît pas leur langue (La grande didactique)

Il  faudrait plutôt donner les explications dans la langue de l’élève et tirer de son environnement les exemples qui illustrent les nouvelles règles

La porte ouverte sur les langues (Janua linguarum resrata)

Un manuel de latin fondé sur la langue maternelle

C’est selon ces préceptes que Comenius écrivit La  porte ouverte sur les langues (Janua linguarum reserata). La première édition parut en 1631.
C’est un manuel de latin qui prend la langue maternelle comme point de départ.

1000 phrases simples avec 8000 mots latins et leur traduction en langue maternelle

Il consiste en mille phrases simples concernant le monde environnant, composées de huit mille mots latins mis en ordre, avec en regard, le même mot dans la langue maternelle. 

Petite encyclopédie de la nature et du monde environnant

C’est aussi une petite encyclopédie qui mettra l’élève en contact avec les phénomènes de la nature et les différentes facettes du monde qui l’entoure.

Une promenade dans le monde créé depuis l’origine jusqu’à la Sainte Trinité

Le cours des choses est présenté … à travers une promenade effectuée par l’enfant en compagnie de l’auteur qui le guide dans le monde créé, depuis 1’origine des choses jusqu’à la Sainte-Trinité à travers toutes les sphères de la vie. (Cauly)

100 courtes scènes de la vie quotidiennes en 100 rubriques :

De courtes scènes de la vie quotidienne sont clairement et distinctement présentées à l’esprit de l’enfant et distribuées en Cent rubriques (ou «Titres communs des choses») qui révèlent une progression méthodique: de la création aux différents règnes (minéral, végétal, animal) en passant par les différentes sphères de la vie sociale et économique, puis culturelle, jusqu’à la fin dernière de l’existence. (Cauly)

L’ouvrage sera rapidement traduit en plusieurs langues ,dont une édition en français et latin en 1642.

Le paradis retrouvé ?

Comenius  est un auteur passionnant, d’une grande richesse et par là même, d’une grande complexité. Il a exercé ses talents dans de nombreux domaines, pédagogique, philosophique, religieux et politique. Il a suscité l’admiration de beaucoup mais il n’a pas fait l’unanimité de tous et il s’est attiré critiques et ennemis.

Le rétablissement de la nation tchèque ?

Par exemple, il faisait trop confiance aux pseudo prophéties de personnes atypiques ou peu recommandables qui annonçaient un rétablissement de la nation tchèque, démenti par les faits.

On pourrait l’excuser en disant qu’il symbolisait les espoirs d’un peuple persécuté, en fuite, livré au jeux politiques et aux trahisons.

En effet, l’espoir suscité par le soutien de la Suède était immense, ses armées étaient sur le point d’occuper Prague.
Mais  l’annonce du  traité  de Westphalie mit fin à la conquête qui aurait accompli les prophéties de retour. Cependant…

Quand les traités de Westphalie (1648) eurent confirmé la domination étrangère sur la Bohême, Comenius, dans le Testament de l’Unité, mère mourante, lança ce cri qui sonnait comme un défi:

«0 peuple tchèque, un jour viendra où tu auras de nouveau le gouvernement de tes affaires dans tes propres mains».

Cette foi dans le retour de l’indépendance nationale sera le soutien des patriotes tchèques au cours du dix-neuvième siècle. Et quand l’heure de cette indépendance sera venue, en 1918, le président-libérateur, Masaryk, se référera à cette «prophétie» dans son premier discours solennel à la nation.(Krotsky)

Passion, générosité, espoir en Dieu

Si on considère l’ensemble de la vie et les motivations de Comenius, on ne peut s’empêcher d’y lire à la fois la passion, la générosité et un immense espoir en Dieu.

Pas de révolte malgré les malheurs. Dieu est le roc de sa vie

Les malheurs de sa patrie et ses souffrances personnelles auraient pu ruiner sa foi et le pousser à la révolte.
Mais, parlant de Dieu après l’incendie de Fulneck et la mort de sa femme et de ses enfants, il dira qu’il est le « roc de sa vie », une « tour forte ».
Et quand il perd ses manuscrits, -quarante années de travail – lors de l’incendie de Lezno en 1656, il dit qu’il « avait tout perdu excepté cet unique qui, à lui seul, est tout» (Krotsky).

Il y a quelque chose de prodigieux et d’authentiquement chrétien, dans le contraste entre les souffrances et les férocités endurées par Comenius, et l’allégresse mystique dont rayonnent ces textes écrits dans la pauvreté et dans l’exil.
La visualisation des choses et la conception philosophique du monde dans l’œuvre de Comenius
Marc Fumaroli Du Paradis du cœur au Collège de lumière

Souci de formation pour les gens de son époque livré à l’ignorance

Il avait un véritable souci pour la masse des gens de son époque livrés à l’ignorance intellectuelle morale et spirituelle par la négligence des pouvoirs politiques et les vicissitudes de la guerre et il était convaincu que de bonnes écoles pouvaient remédier à ces lacunes. Seul il sentait, à son époque, que «l’art de former les hommes était un des plus profonds mystères du monde et de notre salut» (Krotsky)

Un bilan, au moins sommaire, de son système éducatif ?

 Presque ignoré dans l’enseignement public français

On attribue à Rousseau sa conception du développement psychique de l’enfant et son système éducatif

Un premier fait : Comenius  est à peu près totalement  ignoré dans le monde de l’enseignement public. On a attribué à Rousseau la paternité de sa conception du développement psychique de l’enfant et de son système d’éducation.

Il serait …facile de montrer comment bien souvent Rousseau répète Comenius; parfois on « retrouve textuellement les expressions de Comenius« . (Krotsky)

Plus de notoriété aujourd’hui … dans les rencontres de spécialistes

Il est un peu plus connu aujourd’hui mais sa notoriété est limitée au cercle des spécialistes de colloques. 

La seule biographie accessible en français jusqu’à une date relativement récente était celle d’Anna Heyberger parue en1928.

Une Grande Didactique tronquée, éliminant toute dimension religieuse…

Quant à La Grande Didactique, elle a connu deux traductions.

Celle des Éditions Klincksieck parue en 1992 a heureusement remplacé celle de Piobetta en 1942 aux P.U.F.

Celui-ci, sous les égides du laïcisme, récupère les « avantages pédagogiques » de Comenius  en éliminant toute dimension religieuse.
Les premiers chapitres de La Grande Didactique et d’autres passages  sont simplement ignorés et les mots comme Dieu, religion remplacés par des points de suspension !

Reproche de vouloir rendre l’étude facile et inciter à la paresse

Certains lui ont reproché de vouloir rendre l’étude facile et d’inciter ainsi les élèves à la paresse.

Mais son objectif :  rendre accessible au peuple la culture réservée  l’élite

Mais il ne faut pas oublier son objectif de rendre accessible au peuple la culture réservée  jusqu’alors à l’élite, en évitant de le rebuter par trop de difficultés.

«Il faut toujours choisir dans la mesure du possible des moyens …faciles à employer (ce qui est difficile passera pour impossible)». …«Tout ce que tu entreprends, il faut que tu aies des moyens sûrs et une méthode facile pour le mettre en pratique». (Krotsky)

A la même époque, les jansénistes de Port Royal

Il n’était d’ailleurs pas le seul à travailler sur un meilleur enseignement des langues et des méthodes d’enseignement, moins rebutantes et plus accessibles aux élèves.

En témoignent les titres d’ouvrages composés à la même période par les Jansénistes à Port Royal

  • Nouvelle méthode pour apprendre facilement et en peu de temps la langue latine (1644)
  • Nouvelle méthode pour apprendre facilement et en peu de temps la langue grecque (1657) de Lancelot. (Krotsky)

Evaluer les notions de facilité, difficulté à la mesure des conditions de l »époque

Il est important aussi d’évaluer les notions de facilité et difficultés à la mesure des conditions de son époque – en particulier l’enseignement du latin donné en latin- et de ne pas le comparer aux conditions actuelles de l’enseignement.

Facile pour un  élève de l’école de Comenius voulait dire  « un peu plus accessible » alors que, dans certains domaines et exigences de l’enseignement actuel, cela signifie parfois « élémentaire » ou « indigent ».

Comenius : culture pour toutes les couches de la société

Diderot et Voltaire :  conservateurs sans sympathie pour le peuple

Comenius  est le premier à avoir travaillé à diffuser la culture dans toutes les couches de la société parce que  il respecte en chaque homme l’image de Dieu, alors que Diderot ou Voltaire qui «étaient des conservateurs sans sympathie, pour la masse populaire qui leur inspirait parfois des mots très durs». (Krotsky)

Droit à l’éducation pour les infirmes, les déficients intellectuels et ceux qu’on pensait réservés à l’esclavage

Il accorde aussi le droit à l’éducation aux infirmes et déficients intellectuels et aussi à ceux qu’on appelait alors « barbares »et que l’on pensait dépourvus d’âme, donc réservés pour l’esclavage.

Conclusion par Comenius

Nous laisserons à Comenius le soin de tirer lui-même la conclusion qui établit le lien entre les éléments fondamentaux, les options et les réalisations de sa vie

Dans l’ouvrage L’école comme un jeu (Schola ludus), il se décrivait ainsi en 1657 :

« Moravus sum natione, lingua Bohemus, professione theologus ad Evangelii ministerium
De nationalité, je suis Morave, de langue, Tchèque, de profession, Théologien au service de l’Évangile. »

Quant à ses recherches en didactique, il écrit clairement

Ce que j’ai écrit pour la jeunesse, je ne l’ai pas écrit comme pédagogue mais comme théologien. (Opera didactica omnia IV, 27).

Illustration tirée des «Oeuvres didactiques complètes» avec l’inscription « Tout coule de soi-même, la violence est absente des choses ».

 

Abraham ou la confiance en Dieu

La confiance en Dieu : Abraham

Le chapitre 11 d’Hébreux nous propose une galerie de portraits de l’Ancien Testament pour illustrer divers aspects de la confiance en Dieu. Arrêtons-nous au cas d’Abraham pour dégager ce qu’a signifié pratiquement faire confiance à Dieu dans son cas particulier.

Genèse 12.1-3

1 L’Eternel dit à Abram : Va, quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père pour te rendre dans le pays que je t’indiquerai. 2 Je ferai de toi l’ancêtre d’une grande nation ; je te bénirai, je ferai de toi un homme important et tu deviendras une source de bénédiction pour d’autres. 3 Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui t’outrageront. Tous les peuples de la terre seront bénis à travers toi. 

Hébreux 11.8-10

 8 Par la foi, Abraham a obéi à l’appel de Dieu qui lui ordonnait de partir pour un pays qu’il devait recevoir plus tard en héritage. Il est parti sans savoir où il allait. 9 Par la foi, il a séjourné en étranger dans le pays qui lui avait été promis, vivant sous des tentes, de même que Isaac et Jacob qui sont héritiers avec lui de la même promesse. 10 Car il attendait la cité aux fondements inébranlables dont Dieu lui-même est l’architecte et le constructeur

1. L’environnement social

Un saut en arrière de 4000 ans.

Ur, une culture très avancée

À l’origine la famille de Térach, le père, est établie à Ur, la capitale des Sumériens à qui ont succédé les Chaldéens. Culture déjà ancienne et très avancée qui a inventé l’idée d’écrire (tablettes cunéiformes) et cela 1000 ans avant l’époque d’Abraham.
Ur se situe sur ce qui était alors l’embouchure de l’Euphrate dans le Golfe Persique, donc un lieu d’échanges commerciaux et de contacts très nombreux, à la base orientale du Croissant fertile

Une famille aisée, pas du tout nomade

La famille, sans doute assez aisée, est citadine, bien établie dans son cadre urbain, tout à l’opposé de l’image de nomades qu’on applique souvent à tort aux patriarches.

Départ pour Canaan

Pour une raison inconnue, voilà que Térach veut aller en Canaan (Gn 11.31), à 2000 km de marche de là ! Pour tous et pour le jeune Abram en particulier, c’est un chamboulement complet. Quand on est jeune, on aime changer, voyager, voir autre chose. Mais quitter TOUT : le cadre de vie, la famille, les amis, les fonctions, même la religion, centrée sur la culte de Sin, déesse de la Lune. Tout recommencer, dans un inconnu total… !

Mais arrêt à Haran

Il est vrai que Térach, le citadin, s’arrête à mi-chemin, à Haran, à 1000 km d’Ur. Important croisement des routes commerciales de haute Mésopotamie.

Sanctuaire de la déesse Sin

La seule chose qui ne les dépaysera pas, c’est que Haran est le deuxième grand sanctuaire de la déesse Sin au Moyen Orient. C’est là que Térach le citadin s’établit définitivement avec les siens, lassé de cet énorme voyage. Ouf !

2. Encore partir

Oui, mais c’est alors qu’arrive 12.1 !

L’Eternel dit à Abram : Va, quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père pour te rendre dans le pays que je t’indiquerai. 

Absolument inattendu, totalement laconique, mais vraiment inconcevable. Et en plus ce n’est pas une offre ouverte, c’est un ordre :

« Va, pars d’ici et va dans l’inconnu, sans indication de destination ! »

Une autre surprise : 12.4 !

Abram partit donc comme l’Eternel le lui avait demandé, et Loth s’en alla avec lui. Abram avait soixante-quinze ans quand il quitta Harân

Et nous qu’aurions-nous fait ? Après combien de questions, d’objections, de changements d’avis ?

Il est vrai qu’après 12.1 vient aussi 12.2-3

2 Je ferai de toi l’ancêtre d’une grande nation ; je te bénirai, je ferai de toi un homme important et tu deviendras une source de bénédiction pour d’autres. 3 Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui t’outrageront. Tous les peuples de la terre seront bénis à travers toi. 

Après l’autorité majestueuse, imposante de la voix qui demande de tout quitter, il y a les promesses époustouflantes, énormes qui font sentir une bienveillance, une générosité inconditionnelles et confondantes, un engagement inouï parmi les hommes.

Qui peut parler comme ça ?

Pas un homme, ce serait se moquer, pas une idole, elles sont inexistantes.

Un peu de recul

Les jugements de Dieu (déluge, tour de Babel)

Le jugement du déluge a laissé des traces dans toutes les grandes cultures du monde et spécialement du Moyen Orient (épopée de Gilgamesh, bibliothèque d’Assurbanipal).
Le jugement sur l’orgueil humain à la tour de Babel a aussi frappé les mentalités.

Mais qui s’est converti et revenu à Dieu ?

Quelques rares personnes restent attachées à leur Créateur dans un environnement païen dominant : Job, ses amis (et encore…)

Abram serait-il du nombre, malgré l’idolâtrie de sa famille (Jos 24.2) ? En tout cas dès qu’il a perçu la majesté de celui qui lance l’ordre et réalisé l’étendue de ses promesses, il est sur le départ.

Quel voyage !

Ordonné, conduit par Dieu

Pas choisi, comme le premier décidé par Térach, mais ordonné, conduit par Dieu ; totalement dans l’inconnu, même pas de destination, d’itinéraire connu d’avance.

Sous tente

Ce ne sera pas pour s’installer de nouveau en ville, mais désormais sous tente, quelque part en pleine nature, d’abord près du chêne de Moré, puis du côté de Bethel, puis dans le Negev.

Mais pas vraiment nomade

Au début il circule, pour découvrir le pays que Dieu lui a promis, mais ce n’est pas une vie de nomade, car il ne repartira plus ensuite que sous la pression des évènements. Pas par goût de la liberté, par tradition nomade. Ses fils et petits-fils feront de même.

Le changement essentiel

Plus Sin mais l’Eternel

Désormais la vie de toute sa maisonnée ne se déroule plus sous le signe imposé de la déesse Sin, mais sous l’autorité choisie de l’Eternel.

Térach resté idolâtre

Térach, lui, avait quitté le culte de Sin à Ur pour retomber dedans à Haran. Et comme il reste à Haran, il reste aussi et mourra dans l’idolâtrie. Il n’a pas, comme Abraham, tourné radicalement le dos au passé, pour repartir à zéro avec Dieu.

Abraham libéré du paganisme

Par son appel l’Eternel a libéré Abraham de ce fatras païen par la rupture radicale qu’il lui a demandée.

Une vraie amitié entre Abraham et Dieu

Et le sérieux et la gratitude d’Abraham s’expriment dans le fait que la première chose qu’il fait à Moré et à Béthel, c’est dresser un autel à son Dieu. Il ne s’agit pas d’un acte religieux de plus, car Abraham aura toute une série de rencontres personnelles avec ce Dieu, au point qu’une vraie amitié va se développer entre eux.

Sa décision de faire confiance

En partant ainsi, Abraham a pris une décision qui ferait peur à beaucoup de gens, tant elle paraît folle. Pour une raison qu’il faut oser s’avouer : on veut bien admettre que Dieu est plus grand que l’homme, mais de là à engager toute son existence sur une de ses paroles, en s’attendant comme à une évidence qu’il la réalisera sans faute…

Et encore à sa manière, à son heure et à la dimension qu’il choisit, lui… C’est bien un problème de confiance !

Soyons logiques : quand nous avons placé notre vie sous son autorité, nous lui avons ainsi dit d’en disposer comme il voudra, comme de son bien.

Une mise au point importante : les interventions de Dieu pas arbitraires ou tyranniques mais bienveillantes et généreuses

Ses interventions ne seront pas arbitraires ou tyranniques, à la manière des hommes, mais marquées de la bienveillance patiente et de l’infinie générosité typiques de notre Père céleste.

Obéissance … bénédiction

Si nous l’aimons, une parole de sa part prise au sérieux peut impacter toute une étape de la vie, selon le principe voulu par lui : une obéissance débouche tôt ou tard dans une bénédiction (Dt 11. 26-27)

3. Un complet recommencement

Pourquoi Dieu a-t-il choisi justement Abraham et pas un autre ?

C’est la totale et libre souveraineté de notre Créateur envers sa créature. Pas au hasard, mais par grâce. Pas en vertu de ce qu’Abraham a fait, mais de ce que Dieu a discerné dans son cœur.

Souvenons-nous du Psaume  51.7-8 : honnêteté face à la vérité

Je suis depuis ma naissance marqué du péché… mais tu veux que la droiture demeure au fond de mon être.

La droiture, l’honnêteté en face de la vérité, dès qu’elle est reconnue comme telle, une orientation d’esprit prête à tirer les conséquences de la vérité.

Abraham, un homme prêt à faire confiance à Dieu

Dieu a vu en Abraham un homme prêt à lui faire confiance, par principe, parce que Dieu mérite toute confiance. N’est-ce pas là le minimum que le Dieu vivant et vrai peut attendre de sa créature, quelles que soient ses conditions de vie ? (En ce sens Abrahm. est le frère de Job.) Dieu savait qu’Abraham accueillerait sa parole avec sérieux, il le savait, mais n’a rien fait pour l’y obliger.

Arrêtons-nous un peu aux promesses de Dieu

Dieu lui assure pas simplement une nouvelle résidence, mais tout un pays en héritage

Genèse 12.7

Le SEIGNEUR apparut à Abram et dit : Je donnerai ce pays à ta descendance. Abram bâtit là un autel pour le SEIGNEUR qui lui était apparu

Hébreux  11.8

C’est par la foi qu’Abraham obéit à un appel en partant vers un lieu qu’il allait recevoir en héritage : il partit sans savoir où il allait.

Un pays

Dieu ancre sa promesse de bénédiction dans un pays et elle pourra donc se vérifier bien concrètement en récoltes, bétail et provisions. Les valeurs matérielles et spirituelles vont ainsi s’unir dans les évènements ordinaires de la vie du pays.

Un homme important, ancêtre d’une grande nation

Dieu lui promet aussi de devenir un homme important, placé sous la bénédiction et la protection de Dieu lui-même et l’ancêtre d’une grande nation. Encore un fait largement concret et observable par quiconque.

Promesses réalisées

L’une comme l’autre promesse ont été magnifiquement réalisées. De ce point de vue Abraham est même le point de départ d’une nouvelle manière de Dieu de conduire l’humanité et de restaurer une vraie relation, perdue à cause du péché.

La bénédiction promise à travers lui pour tous les peuples de la terre se répand depuis 2000 ans grâce à l’œuvre de Jésus, son plus illustre descendant et du Saint-Esprit, à l’œuvre au moyen de l’Église.

Mais sur le long terme, pas immédiatement

Cela s’est réalisé dans la perspective longue de toute l’histoire humaine. Mais au départ, pour Abraham, cela n’avait rien d’évident et son vécu du moment aurait pu le décourager de croire à ces promesses.

Héritier mais toujours étranger

En effet, comment se considérer comme l’héritier de tout un pays, certes promis, mais dans lequel on vit toujours en étranger sous une tente et où, à l’occasion, les autochtones sont hostiles.
Et dans ce pays dont il avait au départ fait le tour du propriétaire, il ne possède en fait qu’une caverne funéraire pour Sara. Et il a dû mettre le prix pour l’obtenir.

Ancêtre mais encore sans enfant

Pire encore, comment devenir l’ancêtre d’une grande nation, quand on est sans enfant, très âgé, l’épouse aussi et stérile ? Là la confiance a subi l’épreuve du feu.

C’est là que Dieu se manifeste

Mais là aussi le Dieu à qui Abraham a fait confiance, s’est magnifiquement manifesté comme celui qui dit et la chose existe.

Placé en présence de Dieu, Abraham mit sa confiance en celui qui donne la vie à ce qui est mort et appelle à l’existence ce qui n’existe pas.  Romains 4.17.

Au delà des impossibilités et des obstacles

L’évidence incontestable des impossibilités biologiques, des obstacles pratiques infranchissables a été balayée comme fétu par celui à qui rien n’est impossible.

Oui, Dieu mérite une confiance totale. Y suis-je prêt ?

4. Mais en attendant …

Le calendrier est aux mains de Dieu et il peut s’écouler tout un temps entre la promesse et sa réalisation. Non pas pour la faire oublier, comme font certaines gens. Mais pour tester si la foi d’Abraham est à la hauteur de son grand Dieu, pour l’éduquer, ce qui explique la famine en Canaan et la tentation d’aller en Égypte pour y échapper.

L’attente, un temps d’éducation spirituelle

Ce temps d’attente, de patience est un temps d’éducation spirituelle, peut-être l’étape la plus dure. Mais Abraham ancre sa confiance dans la garantie d’un héritage et croit que celui-ci dépassera même l’horizon terrestre (Hébreux  11.9-10).

Une leçon précieuse : capable de patience grâce à Dieu

C’est en gardant l’esprit tourné vers Dieu qu’on devient capable de patience, capable de continuer la course fidèlement, même quand ça devient dur, très long, un peu fou (Col 3.1-4). Le meilleur remède contre le découragement, la fatigue, la pitié de soi = se savoir en présence de Dieu, aujourd’hui et pour toujours.

Evitant le drame de l’auto-centrisme

Si je reste braqué sur ici-bas, la moindre chose qui tourne mal, qui semble trop longue ou n’est pas appréciée par les autres, devient un drame. Je suis alors facilement submergé par les réactions, les désirs de ma nature charnelle et je ne les contrôle plus.

Gardant l’esprit accroché au Seigneur

Mais si dans la difficulté je garde l’esprit accroché au Seigneur, je reste branché sur le maître des circonstances, sur celui qui garde tous ses moyens quand je n’en ai plus et lui en a souvent d’étonnants.

Patience et efficacité

Alors je peux même être patient = attendre le moment de Dieu, faire confiance que son calendrier est le bon. Ce n’est pas parce qu’Abraham avait trop la tête au ciel qu’il n’était plus efficace sur terre. Et, inversement, on ne sert pas à grand chose sur terre quand on n’a pas l’esprit tourné vers le Tout-puissant.

De l’obéissance à la bénédiction : un chemin d’éducation

J’avais énoncé tout à l’heure un principe divin selon lequel une obéissance à un ordre débouche finalement dans une bénédiction. Il me faut y revenir pour y apporter un important complément. L’obéissance est notre part, capitale. La bénédiction est la réponse finale de Dieu. Mais entre les deux il y a une part essentielle d’éducation par Dieu. Cette part est souvent oubliée par les disciples du « Tout tout de suite », mais pas par Dieu.

La chaîne complète sera donc :
ordre – obéissance – attente patiente – bénédiction – glorification de Dieu

L’étape de l’attente patiente, confiante est un temps d’éducation, de formation d’un caractère conforme à l’image du Créateur.

C’est le travail de sanctification, indispensable dans la vie du chrétien :

1 Thessaloniciens 4.3-5 ; Hébreux 12.14.

Plus centré sur soi mais conduit par Dieu

On passe d’un style de vie centré sur soi à une mentalité façonnée par le contact suivi avec Dieu. La maturité c’est d’avoir appris à vouloir ce que Dieu veut et elle se caractérise d’abord par ce qui se passe dans le cœur.

Un nouveau départ pour l’humanité

Après la crise de Babel Dieu donne encore un nouveau départ à l’humanité, cette fois à partir d’un seul homme, Abraham, avec qui il établit une relation personnelle d’amitié, chose inconnue dans les religions de cette terre.

Bénédiction et confiance

Cette amitié est fondée par Dieu sur une volonté de bénédiction immense, englobant non seulement la descendance d’Abraham, mais même toute l’humanité.
Et au centre de ce recommencement se trouve la confiance entre un Dieu absolument fidèle à sa parole et un homme qui a compris que sa vie trouve tout son sens dans la pratique confiante de cette relation d’amitié.

L’amitié (le secret) de l’Éternel est pour ceux qui le révèrent et il les instruit de son alliance. Psaume  25.14

J.-J. Streng

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