Mois : juillet 2019

Dans la détresse, ne crains pas, crois seulement

Ne crains pas, crois seulement :
des circonstances dramatiques 

Résurrection de la fille deJairus – Gustave Doré

« Ne crains point, crois seulement » : Jésus a prononcé ces paroles dans des circonstances dramatiques.

Et, à l’arrière de la scène, dans les coulisses, en filigrane, en parallèle, se joue un autre drame moins visible, un combat intérieur, … se cache un secret difficile, impossible à dévoiler…

Luc, historien et théologien

Luc, l’auteur du 3e Évangile n’a pas  assisté personnellement aux événements racontés dans son évangile.  Mais Luc l’historien  a recueilli les récits des témoins. Luc le théologien les a organisés. Il  a fait vivre ces événements pour montrer que Jésus a bien été choisi par Dieu pour apporter la libération à son peuple.

Pour son  ami Théophile, (son nom signifie « qui aime Dieu »), le premier destinataire de son Evangile,  Luc met en scène acteurs, circonstances et déroulement de ces drames. Cela se passe au chapitre 8 versets 40 à 56. On retrouve le même double récit, à quelques  détails près, dans Matthieu 9 et dans Marc 5.

Luc 8. 40 à 56

À son retour en Galilée, Jésus fut accueilli par la foule, car tous l’attendaient. À ce moment survint un homme appelé Jaïrus. C’était le responsable de la synagogue. Il se jeta aux pieds de Jésus et le supplia de venir chez lui : sa fille unique, âgée d’environ douze ans, était en train de mourir. Jésus partit donc pour se rendre chez lui. Cependant, la foule se pressait autour de lui.

Il y avait là une femme atteinte d’hémorragies depuis douze ans et qui avait dépensé tout son bien chez les médecins, sans que personne ait pu la guérir. Elle s’approcha de Jésus par derrière et toucha la frange de son vêtement. Aussitôt, son hémorragie cessa.

– Qui m’a touché ? demanda Jésus.

Comme tous s’en défendaient, Pierre lui dit :

– Voyons, Maître, la foule t’entoure et te presse de tous côtés !

Mais il répondit :

– Quelqu’un m’a touché ; j’ai senti qu’une force sortait de moi.

En voyant que son geste n’était pas passé inaperçu, la femme s’avança toute tremblante, se jeta aux pieds de Jésus et expliqua devant tout le monde pour quelle raison elle l’avait touché, et comment elle avait été instantanément guérie. Jésus lui dit :

– Ma fille, parce que tu as cru en moi, tu as été guérie, va en paix.

Il parlait encore quand quelqu’un arriva de chez le responsable de la synagogue et lui dit :

– Ta fille vient de mourir, n’importune plus le Maître !

En entendant cela, Jésus dit à Jaïrus :

– Ne crains pas, crois seulement : ta fille guérira.

Une fois arrivé à la maison, il ne permit à personne d’entrer avec lui, sauf à Pierre, Jean et Jacques, ainsi qu’au père et à la mère de l’enfant. Ce n’était partout que pleurs et lamentations. Jésus dit :

– Ne pleurez pas ; elle n’est pas morte, elle est seulement endormie.

Les gens se moquaient de lui, car ils savaient qu’elle était morte. Alors Jésus prit la main de la fillette et dit d’une voix forte :

– Mon enfant, lève-toi !

Elle revint à la vie et se mit aussitôt debout ; alors Jésus ordonna de lui donner à manger. Les parents de la jeune fille étaient stupéfaits. Mais Jésus leur recommanda de ne dire à personne ce qui s’était passé.

 

Ne crains pas : l’audace de celui risque de tout perdre.

Jaïrus, le pharisien, responsable de synagogue

Jaïrus, l’un des responsables de la synagogue de Capernaüm, …un pharisien…

Un statut social élevé, une réputation à préserver, une orientation théologique bien établie mais aussi  un corporatisme à défendre.

Les pharisiens, gardiens de la Loi et des 613 commandements

Les pharisiens se sont établis gardiens de la Loi dans les détails les plus minutieux de sa lettre, selon les critères étroits de l’interprétation talmudique. – les 613 commandements, un commentaire précis, au détail près des 10 commandements et des Lois du Lévitique.

Le juif pieux doit les appliquer mot à mot, geste après geste pour conserver sa pureté rituelle.  Surtout ne pas se souiller en s’approchant de gens impurs ou moins purs que lui. Ces pharisiens sont en majorité opposés à Jésus.

Pour Jésus, c’est l’intention profonde de la Loi, la pureté du cœur, la vie intérieure réelle de la personne qui comptent.

Jaïrus, un pharisien avec tous les honneurs et les avantages de sa position.

A quoi cela sert s’il perd l’essentiel ?

Mais « que sert -il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme ? » (Marc 8.36)

On peut transposer : s’il risque de perdre l’essentiel, ce qui a le plus de valeur pour lui.

A quoi sert la meilleure réputation, les plus grands avantages sociaux,  quand une âme, une vie (même mot en grec) une vie qui nous est précieuse, est en jeu.

La vie de sa fille unique

Pour Jaïrus, c’est la vie de sa fille unique de 12 ans : elle est mourante. 12 ans… l’âge où la fillette peut devenir femme, où les parents commencent…à la préparer à son futur mariage. Mais tout semble perdu… A moins que…

Ne crains pas … de faire sauter les barrières …

Jaïrus  prend le  risque : perdre sa réputation auprès de ses collègues responsables de la synagogue… auprès des autres pharisiens.

Malgré la méfiance vis à vis de Jésus

La majorité d’entre eux garde vis à vis de Jésus une distance de sécurité très critique. Il se mêle trop à la foule ignorante, qui ne connaît pas la loi (et se fait traiter de maudits Jn 7.49) et aux gens infréquentables :

…Il fréquente des collecteurs d’impôt comme ce Lévi /Matthieu  (Mt 9.9). Ces collaborateurs de l’occupant romain, …ces pécheurs connus dans la ville, réunis avec Jésus autour de la même table! … Quel affront contre la pureté rituelle, quelle contradiction avec l’orthodoxie religieuse :

 

« Pourquoi votre maître mange -t-il avec les publicains (une autre façon de dire collecteur d’impôt) et les gens de mauvaise vie ?

 

Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades » répond Jésus

Ce sont les malades, pas les bien portants qui ont besoin de médecin

Jaïrus a-t-il entendu ces paroles rapportées dans Matthieu 9.11 et 12 ?

Oui, Jaïrus en a vraiment besoin

En tout cas, il les prend pour lui aussi. Il a besoin d’un médecin. Il se jette aux pieds de Jésus. Il le supplie d’entrer dans sa maison. Sa fille unique de douze ans est en train de mourir. (v. 41 et 42)

A Capernaüm, Jésus vient de guérir par un miracle à distance, par une simple parole, le serviteur d’un officier romain (Luc 7.1-9). C’est de cette sorte de médecin que Jaïrus a précisément besoin.

La femme cachée derrière un arbre

Cachée derrière un arbre, une femme vient de voir Jaïrus se jeter aux pieds de Jésus. La foule s’est écartée pour  laisser passer le responsable de la synagogue, puis s’est refermée…

Cette femme, ses voisins la connaissent… quelques uns de ceux qui suivent le mouvement de la foule…

Les hémorragies épuisantes

La santé : pas brillante du tout : jour après jour les hémorragies l’épuisent.

Les tentatives de guérison : nombreuses, douloureuses, coûteuses, sans résultat.

« Elle a dépensé tout son bien chez les médecins, sans qu’aucun ait pu la guérir » (v. 43).

Aujourd’hui, on donnerait un nom à cette maladie féminine. Sans doute pas un cancer, car qui y résisterait douze ans ?…Troubles hormonaux, kyste, fibrome… On les soigne, on les guérit couramment aujourd’hui. Mais à l’époque…

Moral au plus bas

Le moral : ce n’est pas mieux. Douze ans sans amélioration.

« Au contraire, son état avait empiré » (Marc 5.26)

Pas de vie sociale ou religieuse

La vie sociale et religieuse : quasiment inexistante. D’après Lévitique 15 25-30, cette femme est  impure en permanence. Ses meubles et sa vaisselle aussi. Impossible pour elle de s’asseoir  auprès de quelqu’un, de prendre un repas avec sa famille, avec des amis.

On peut supposer qu’elle n’est pas mariée. Jésus lui dit « ma fille » et non femme comme il le fait habituellement.

 

Elle a besoin d’un médecin, quelqu’un qui la délivre de son impureté. Comme ce païen du pays des Géraséniens, de l’autre côté du lac, ce païen possédé d’une légion de démons que Jésus vient de délivrer  (Lc 8.26)

Ne crains pas …. L’audace de celle qui n’a plus rien à perdre

Comment faire sans provoquer de scandale ?

Cette  femme  voudrait bien, elle aussi, se jeter aux pieds de Jésus. Mais comment faire?

Pas question de  provoquer un scandale en arrivant devant lui, elle, une femme impure. Impossible aussi de crier sa maladie à travers la foule, pour que Jésus la guérisse de loin, par une parole…

Ne crains pas … la nécessité lui  fait trouver  sa solution.

Elle se glisse à travers les gens, par derrière, elle fraie son chemin le plus discrètement possible…
Surtout ne pas se  faire remarquer avant d’avoir atteint son but.

La seule audace à sa portée

Toucher les franges à l’arrière du manteau de Jésus. Toucher les franges, ce rappel visible des commandements de Dieu (Nombres 15.38-40)

Le texte de Luc se borne à constater, sans commentaire.

Comment évaluer son geste ?

Mais nous, comment allons-nous évaluer son geste : chercher une guérison en touchant des franges, un objet…. Superstition, fétichisme ? On a d’autres exemples d’objets dans la Bible : les mouchoirs de Paul et l’ombre de Pierre, qui guérissaient (Act 5.15, 19.12) … Aucun reproche à ce sujet.

Une foi qui prend des risques

Ce qui compte vraiment, c’est la foi qu’elle ose manifester, à tout prix, en prenant des risques.

Guérie … elle le sait, elle le sent. Puis partir discrètement…sans publicité…

Crois : d’une foi empirique à une foi éclairée

« Qui m’a touché »…  « Je sais qu’une force est sortie de moi » La voici découverte !

Jésus ne lui dit pas directement  « ne crains pas ». Mais quelque chose comme :

« Ne crains pas de te montrer à découvert. N’aie pas peur  de parler  devant tout le monde.

Tu as commencé avec l’audace de la foi, continue : dis leur, à tous, ce que j’ai fait pour toi… »

Pourquoi cette demande de Jésus ?

Jésus a été conscient du toucher de la femme. Il  l’a accepté. Il a reconnu, à travers le geste, la foi, simple, pas très éclairée, –certains diraient « la foi du charbonnier ». Il ne lui reproche rien. Il ne méprise pas cette foi un peu « folklorique ». Il part de ce qu’elle sait et il la fait aller plus loin.

Savons-nous, nous aussi,  adapter notre annonce de l’Evangile  au niveau des gens ?

Evitons nous de répondre parfois trop automatiquement à des questions qu’ils ne se posent même pas ? Montrons-nous que nous nous intéressons vraiment  à eux ?…

Essayons-nous d’apprendre à discerner, derrière les habitudes, les barrières de défense sociales et religieuses, les besoins profonds, les véritables enjeux ?…

Pour la femme aussi, pas de foi de deuxième catégorie

Jésus ne veut pas que la femme ait seulement une guérison dérobée à la hâte. Il ne veut pas d’une foi de deuxième catégorie,  qui reste secrète et qui n’engage pas.

Elle a les mêmes droits à la sollicitude du Sauveur que Jaïrus, que les notables de la ville.

Jésus  lui accorde la guérison complète. Celle du corps, bien sûr, mais aussi et surtout le salut de son âme: « ta foi t’a guérie, sauvée ».

Le droit de recevoir l’Evangile sans se cacher

Dans la  société juive du 1e siècle, la femme et l’enfant  n’ont  guère de valeur. Jésus leur montre son intérêt, son amour. Ils ont droit à ses bienfaits, ils ont le droit d’écouter et de recevoir l’Évangile de manière ouverte et pas en se cachant. A la synagogue, les femmes  écoutaient derrière un rideau, le Talmud interdisait de leur donner une instruction religieuse.

Une femme qui a trouvé sa dignité

Alors devant tout le monde, la femme raconte : sa maladie, son impureté, sa démarche pour s’approcher de Jésus, sa guérison instantanée, complète…Elle témoigne…Elle a trouvé sa dignité, son approbation auprès du Seigneur.

Et les timides …

Et nous, les timides, les réservés, les introvertis… nous qui laissons trop souvent les autres exprimer dans leur prière ce que nous n’osons dire nous-mêmes, dépassons-nous parfois notre crainte pour raconter tout haut ce que le Seigneur a fait pour nous … ?

 

Craindre ou croire…croire ou craindre ?

Un équilibre en fâcheuse posture pour Jaïrus.

Jésus est bien en route pour venir guérir sa fille, mais pourquoi cette interruption ? Surtout, pourquoi le Seigneur insiste-t-il tellement pour savoir qui l’a touché ?  « Tout le monde te touche »… Les disciples et Pierre l’ont bien vu. Ca ne sert à rien sauf à perdre du temps… du temps précieux. L’angoisse du père augmente : on va finir par arriver trop tard.

 

Oui, il est trop tard !  L’équilibre se brise.

Un serviteur à travers la foule : « ta fille vient de mourir. N’importune plus le maître. ».

Pour cette sorte de personne, la limite de la puissance de Jésus s’arrête à la vie : «  tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».  Après, plus la peine d’espérer, ça ne vaut plus la peine. Tout est joué.

Non, ça vaut encore la peine !  Il n’est jamais trop tard pour le Seigneur  !

« Ne crains point, crois seulement et elle sera guérie…sauvée »

Ne crains pas le retard : le Seigneur permettra un miracle encore plus grand, non seulement une guérison mais une résurrection.

Ne crains pas les mauvaises nouvelles. Souviens-toi d’Abraham. Il a cru contre toute évidence que Dieu  pourrait ressusciter son fils après le sacrifice. (Hébreux 11. 17-19)

Ne crains pas l’évidence de la mort

« La jeune fille n’est pas morte, elle dort ». Jésus l’affirme, même si on se moque de lui. Même si les pleureuses sont déjà sur place. C’est la coutume. Même  les familles les plus pauvres ont au moins un joueur de flûte et une pleureuse, une femme payée pour pleurer.

Crois seulement

Elle dort, elle va se réveiller. Jésus a la puissance de la vie.

Il la prend par la main: lève-toi Myriam… C’est l’heure.

… comme sa mère le matin.

Impossible tant qu’elle est morte. …Elle n’est plus morte, … tout simplement.

Elle se lève, elle marche, elle a faim. Une petite mine encore un peu pâlotte, mais de l’appétit…

« Donnez-lui à manger. »… Le retour à la vie normale. Jésus est passé par là.

De la discrétion bien sûr. Elle est guérie, mais personne parmi les moqueurs ne saura exactement comment ça s’est passé.

Bien des années plus tard…

Théophile, ce vieil ami de Luc se souvient…Il est devenu chrétien… puis responsable d’une Église de la région d’Antioche.

Ce récit a répondu à plusieurs questions importantes pour lui :

A qui Jésus réserve-t-il sa sollicitude ?

S’intéresse-t-il aux pauvres seulement…aux marginaux dans la société… à ceux dont la misère, la détresse se voient manifestement ?

Non, Jaïrus, cadre supérieur de la synagogue,  a, lui aussi, reçu toute l’attention du Seigneur !…

Les pharisiens se sont montrés très critiques, très négatifs vis à vis de Jésus. En a-t-il tenu rigueur à Jaïrus ? Non, au contraire… Et pour Nicodème aussi, cet autre pharisien venu le rencontrer discrètement, la nuit… il a tracé le chemin du salut (Jean 3.16)

Jésus ne fait pas d’amalgame, il s’intéresse à chacun, individuellement.

Jésus s’est laissé approcher par une femme impure, il l’a guérie.

Lui, Théophile, un païen, est aussi impur aux yeux du pharisien juif, fier de sa pureté, ce pharisien qui n’entrerait jamais dans sa maison de païen

il offre à tous le royaume de Dieu

Mais ce que Jésus a fait pour cette femme impure, pour les marginaux de son peuple, il l’offre aussi aux étrangers, aux païens… C’est l’offre du Royaume de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre…

Sa puissance et son amour se manifestent, dans tous les pays, à tous les niveaux de la société,  pour chaque personne individuellement.

Alors lui, Théophile, homme bien considéré, mais païen, a reçu ses réponses. Il s’est tourné vers le Seigneur, il le sert fidèlement.

 

Ce récit, il va en parler dans sa communauté : il va lui demander de s’engager plus encore…  L’an 70 est passé, avec la destruction du Temple de Jérusalem, l’Église et la synagogue se sont séparées … La foi chrétienne ne peut plus rester privée, secrète, à l’ombre de la communauté juive…

Ne crains pas… la moquerie, le mépris, l’opposition, la persécution…la mort …

Crois seulement… et tu seras sauvé…pour l’éternité…

 

Et aujourd’hui ? Nos raisons de croire l’emportent-elles sur nos raisons de craindre… ?

C. Streng

Concilier pardon des péchés, sainteté et amour de Dieu

Le problème du pardon des péchés

Pourquoi la mort de Jésus était-elle indispensable pour le pardon des péchés ? Dieu ne pouvait-il pas se montrer miséricordieux en pardonnant simplement les péchés sans qu’elle soit nécessaire?

Selon  Cur deus Homo ?/Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? d’Anselme de Canterbury un théologien anglais du 11e s, on ne peut simplifier la procédure du pardon. On ne peut comparer le pardon entre hommes, pour des offenses personnelles, avec celui de Dieu, créateur des lois que nous transgressons.
Le problème du pardon est celui du choc entre la perfection divine et la rébellion humaine, entre un Dieu d’amour qui pardonne et un Dieu saint et juste qui juge. La solution se trouve à la croix où se concilient la miséricorde et la justice de Dieu.

La gravité du péché

L’Écriture définit le péché comme une offense contre l’autorité et l’amour de Dieu. C’est comme un défi lancé à Dieu, comme une prétention à l’indépendance. C’est aussi le refus d’ affronter la gravité du péché qui conduit à l’éliminer du vocabulaire…en le remplaçant par crime, jugé par l’État ou par maladie. Mais reconnaître le péché comme péché conduirait « au réveil de la responsabilité personnelle »
On élimine ou on atténue la responsabilité morale de l’homme par tout un ensemble de facteurs externes : hérédité, éducation, société. Ou alors, on façonne un homme sans responsabilité, prédéterminé par l’environnement. Ce serait donc la faute de la société.

La responsabilité légale dépend de la responsabilité mentale ou morale et aussi de l’intention et de la volonté. Elles peuvent être atténuées, chez l’enfant ou chez la personne mentalement handicapée. Mais les failles de la nature humaine ou de l’éducation ne peuvent servir d’excuse.

La Bible constate l’existence d’une tension entre ce qui nous conditionne – le péché originel – et notre aptitude à exercer notre responsabilité morale. Celle-ci n’est jamais supprimée. Elle fait partie de la nature humaine. Elle n’est pas atténuée par la chute, c’est à dire l’intervention du péché originel. L’homme garde toujours un minimum de pouvoir de décision.

Vraie et fausse culpabilité

Nous sommes tous inexcusables car sachant ce qu’il faut faire, nous ne l’avons pas fait


Nous savons, en effet, que la loi est spirituelle.
Mais moi, je suis charnel, vendu au péché.
Car je ne sais pas ce que je fais. Je ne fais point ce que je veux, et je fais ce que je hais. Or, si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais par là que la loi est bonne.
Et maintenant ce n’est plus moi qui le fais, mais c’est le péché qui habite en moi. Ce qui est bon, je le sais, n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair. J ‘ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien.
Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal
que je ne veux pas.
Romains 7.14-19

Cependant, notre conscience n’est pas infaillible. Il existe un faux sentiment de culpabilité, mais aussi un faux sentiment d’innocence, une fausse contrition, une fausse assurance du pardon.

La sainteté et le courroux de Dieu

Le péché est incompatible avec la sainteté de Dieu et avec sa colère qui est sa répugnance à l’égard du mal et sa vigoureuse opposition à ce mal.

L’Écriture l’illustre par plusieurs métaphores : la hauteur ou transcendance, la distancela lumière et le feu, le vomissement par dégoût devant les désobéissances du peuple d’Israël ou la tiédeur de l’Église de Laodicée.

Apocalypse 3.15-16
Je connais tes oeuvres. Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche.

Même si le Dieu de nos contemporains est plutôt laxiste, nous devons éviter toute présomption et ne pas brûler les étapes quand nous expliquons l’œuvre de l’expiation. Il faut garder une juste compréhension de la gravité du péché et de la majesté de Dieu.

La satisfaction pour le péché

Les mots satisfaction et substitution provoquent de nombreuses critiques.

Satisfaire le diable?

Dans l’Église primitive, on pensait que c’était le diable qui avait rendu la croix nécessaire, comme instrument de sa défaite. Pour plusieurs Pères de l’Église, le diable est le maître du péché et de la mort. C’est le principal tyran dont Jésus vint nous affranchir.

Il faut relever trois erreurs

  • accorder au diable plus de pouvoir qu’il n’en a en réalité,
  • lui reconnaître certains «droits» sur l’homme,
  • faire de la croix un troc entre Dieu et le diable.

D’autres définissent la transaction comme une duperie (un hameçon, une souricière).

John Stott reconnaît un certain intérêt à ces théories. Mais il exclut toute transaction et surtout toute duperie entre le diable et Dieu.

Satisfaire la loi ?

La nécessité morale de la satisfaction divine à la croix s’explique par les exigences de la Loi, décrites dans les 5 premiers livres de l’Ancien-Testament en particulier dans le Décalogue (les dix commandements Exode 20.1-17; Deutéronome 5.6-21). Dieu aime les pécheurs et il désire les sauver. La sanction exigée par la loi a été appliquée à la croix et ainsi les exigences de la Loi ont été satisfaites.

Pour les Pères latins du 4e s, la libération par le Christ de la malédiction de la Loi s’explique par l’application de la sentence légale.

Galates 3.13
Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous -car il est écrit: Maudit est quiconque est pendu au bois

Pour les Réformateurs du 16e s, Jésus-Christ devait absolument se soumettre à la loi pour nous arracher à sa condamnation.

Cependant, si la désobéissance aux lois morales de Dieu attire la condamnation, ce n’est pas parce que Dieu est le prisonnier de ses lois, mais parce qu’il est leur auteur.

Satisfaction de l’honneur et de la justice de Dieu?

Dans Cur Deus Homo ? Anselme rejette la thèse patristique de la rançon : c’est la dette de l’homme envers Dieu qui doit être acquittée.
L’unique personne volontaire pour opérer la satisfaction devait nécessairement être à la fois parfaitement Dieu et parfaitement homme, puisque nul, hormis un Dieu véritable, ne pouvait l’accom­plir, et que nul, hormis un homme authentique, n’était dans l’obliga­tion de le faire.

Les Réformateurs ont souligné la notion de justice en Dieu et l’impossibilité de concevoir un moyen de salut qui n’eût pas satisfait sa justice.

Hugo Grotius (1583-1645) insistait sur le caractère objectif de la croix, unique moyen de satisfaire les exigences de la justice divine. Il accordait aussi une grande importance à la morale publique dans ses deux aspects de prévention des délits et de respect de la loi.

Plusieurs théologiens du 20e s. ont aussi appliqué cette conception d’un Dieu «gouverneur moral du monde» à la doctrine de l’expiation. Pour Emil Brunner, le
péché est un assaut contre l’ordre moral du monde, expression de la volonté morale de Dieu. Il existe une analogie entre la loi naturelle et la loi morale dont aucune ne peut être violée impunément

La satisfaction de Dieu lui-même ?

Les Écritures soulignent la parfaite cohé­rence de la personne de Dieu, contraint de juger les pécheurs, tout en restant fidèle à lui-même, en utilisant le langage de la provocation, du feu, de la colère. Son jugement est inéluctable parce qu’il est enraciné dans la sainteté de sa nature, et en parfaite harmonie avec ses exigences et avec sa nature révélée.

Sainteté et amour de Dieu dans le pardon des péchés

Dans Osée 11 et d’autres textes on trouve des expressions d’une dualité en Dieu, compatissant et qui fait grâce… mais qui ne tient pas le coupable pour innocent.
Pour Emil Brunner la «nature duelle» ou double de Dieu est le mystère central de la révélation chrétienne. Cette dualité entre sainteté et amour de Dieu n’est jamais inconciliable, car Dieu n’est pas en désaccord avec lui-même. Pour se satisfaire lui-même, il s’est sacrifié – en substitution à notre place.

Amour de Dieu et pardon du péché

Comment Dieu peut-il aimer l’homme pécheur et pardonner ses péchés ? Il n’y a pas de contradiction en Dieu. Sa justice et sa miséricorde divines, ne sont jamais en conflit et n’ont pas besoin d’être réconciliées. Mais elles sont glorifiées par l’œuvre du Christ pour la rédemption des pécheurs.
Le sacrifice dans l’Ancien Testament préparait et préfigurait le sacrifice rédempteur.

La Pâque et le transfert du péché

Dieu se révèle à la Pâque à la fois comme Juge, comme Rédempteur et comme Dieu de l’alliance avec Israël. J. Stott dénonce toute tendance à vider de son sens le mot « substitution », en voilant la différence entre une substitution de repentance dans laquelle le substitut offre ce que nous ne pouvions pas offrir et une substitution pénale dans laquelle le substitut subit ce que nous ne pouvions pas subir.

Dans l’Ancien Testament, porter les péchés signifiait supporter les conséquences pénales, subir la sanction, même à la place d’un autre. Le rituel des deux boucs pour l’expiation des péchés, le jour du Grand Pardon, le rend évident : il montre que la réconciliation avec Dieu n’était possible que par cette substitution, ce transfert du péché des hommes sur l’animal.

Il (Aaron) prendra les deux boucs, et il les placera devant l’Éternel, à l’entrée de la tente d’assignation.
Aaron jettera le sort sur les deux boucs, un sort pour l’Éternel et un sort pour Azazel.
Aaron fera approcher le bouc sur lequel est tombé le sort pour l’Éternel, et il l’offrira en sacrifice d’expiation.

Et le bouc sur lequel est tombé le sort pour Azazel sera placé vivant devant l’Éternel, afin qu’il serve à faire l’expiation et qu’il soit lâché dans le désert pour Azazel.
Lévitique 16:7-10

Pour l’auteur de la lettre aux Hébreux, Jésus est «un grand prêtre miséricordieux et fidèle» (Hébreux 2.17). Il est aussi le parfait représentant des deux victimes, le bouc sacrifié dont le sang devait être apporté dans le Saint des saints et le bouc qui était chargé des péchés du peuple et chassé dans le désert.

Or, ces choses étant ainsi disposées, les sacrificateurs qui font le service entrent en tout temps dans la première partie du tabernacle.
Et dans la seconde le souverain sacrificateur seul entre une fois par an, non sans y porter du sang qu’il offre pour lui-même et pour les péchés du peuple.
Mais Christ est venu comme souverain sacrificateur des biens à venir. Il a traversé le tabernacle plus grand et plus parfait, qui n’est pas construit de main d’homme, c’est -à-dire qui n’est pas de cette création.
Et il est entré une fois pour toutes dans le lieu très saint, non avec le sang des boucs et des veaux, mais avec son propre sang, ayant obtenu une rédemption éternelle.

Hébreux 9.6-7, 11-12

Mais c’est Ésaïe 53 qui annonce le plus clairement les souffrances et la mort du Christ.

Les déclarations de Jésus lui-même dans Marc 10.45

Le Fils, de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup

reprennent les prophéties sur le Fils de l’Homme de Daniel 7. 13-14

Je regardai pendant mes visions nocturnes.
Et voici, sur les nuées des cieux arriva quelqu’un de semblable à un fils de l’homme.
Il s’avança vers l’ancien des jours, et on le fit approcher de lui.
On lui donna la domination, la gloire et le règne; et tous les peuples, les nations, et les hommes de toutes langues le servirent.
Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit.

et celles du Serviteur d’Ésaïe 53. 10-12

Il a plu à l’Éternel de le briser par la souffrance…
Après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché, Il verra une postérité et prolongera ses jours; et l’œuvre de l’Éternel prospérera entre ses mains.
À cause du travail de son âme, il rassasiera ses regards; Par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes, et il se chargera de leurs iniquités.
C’est pourquoi je lui donnerai sa part avec les grands.
Il partagera le butin avec les puissants, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort, et qu’il a été mis au nombre des malfaiteurs, parce qu’il a porté les péchés de beaucoup d’hommes, et qu’il a intercédé pour les coupables.

Dans les paroles de la Cène, Jésus déclare que « son sang serait répandu pour beaucoup » (Marc 14.24).

Il était bien conscient de porter, dans sa mort, le péché des hommes.

Il prend sur lui notre malédiction, et nous donne sa bénédiction; il devient péché en se chargeant de notre péché, et nous devenons justes par sa justice; mais sans qu’il soit devenu réellement pécheur.

Ce sont les conséquences pénales de nos péchés qui ont été transférées sur lui. La croix est donc bien un sacrifice de substitution : le Christ est mort à notre place.

Qui prend la place du pécheur ?

Stott souligne l’erreur qui consiste à voir en Jésus-Christ un être humain séparé à la fois de Dieu et de nous. Jésus-Christ n’est pas une tierce personne indépendante, intervenant pour apaiser un Dieu en colère et lui arracher un salut accordé à contrecœur. Il ne faut pas non plus  accorder à Dieu seul l’initia­tive de punir l’innocent Jésus à la place des pécheurs qui méritaient le châtiment. Ce raisonnement faux les met en opposition en faisant du Christ l’objet de la colère de Dieu. Il fait aussi de Dieu celui que le Christ doit persuader, alors que les deux coopèrent pour le salut des pécheurs.

Stott nuance l’expression d’Actes 20.28 «l’Église que Dieu s’est acquise par son propre sang», le sang de Jésus, Dieu le Fils. Il précise qu’aucun verset de l’Écriture n’affirme que Dieu en personne serait mort sur la croix. En effet, on ne peut pas dire que Dieu est mort. En effet, le Nouveau Testament désigne par «Dieu », le Père et  la personne qui est montée sur la croix n’est pas le Dieu le Père, mais le Dieu le Fils.

Le rôle des personnes de la Trinité dans le drame de la croix

Le traitement du rôle des différentes personnes de la Trinité dans le drame de la croix est pertinent et approfondi. L’auteur met en garde contre l’erreur parfois constatée, par exemple dans certains cantiques. Ils font de Jésus-Christ, notre substitut, l’antagoniste miséricordieux d’un Dieu en colère. Il tenterait de lui arracher le pardon pour que le pécheur échappe à son jugement. Non, il n’y a pas de dissociation entre le Père et le Fils. La construction d’un Christ miséricordieux qui fait pression sur un Dieu réticent pour qu’il prenne des mesures de clémence à notre égard s’effondre devant la réalité de l’amour de Dieu, dans la totalité de sa Trinité.

Un examen utile de certaines hérésies des premiers siècles sur la Trinité

On appréciera aussi l’utilité de l’examen de certaines hérésies des premiers siècles sur la Trinité.
Toutes ces controverses peuvent sembler fort éloignées de nos préoccupations de chrétiens du 21e s. Nous faisons cependant bien de nous tenir sur nos gardes. Ces tendances hérétiques peuvent se retrouver dans certains mouvements sectaires actuels.
Une accentuation excessive sur les souffrances endurées par Dieu le Fils sur la croix aboutit à l’erreur des modalistes et des patripassiens. Ils confondent entre elles les personnes de la Trinité. Ils nient aussi la distinction éternelle qui existe entre le Fils et le Père. Les monophysites et les théopaschites, confondent les deux natures, divine et humaine, du Christ. Ils nient également le fait qu’il était une personne en deux natures.

En effet, la fausse doctrine de William Branham ou de Kenneth Hagin, est en vogue dans certains milieux extrémistes. Elle prend appui sur les thèses modalistes. Le Père, le Fils et l’Esprit ne seraient pas des personnes distinctes au sein de la divinité, mais trois «modes» temporels par lesquels Dieu se serait successivement révélé.

Dieu en Christ

Notre substitut n’est ni le Christ seul, ni Dieu seul, à cause de l’incarnation. C’est Jésus-Christ avec sa double nature humaine et divine. Selon le Nouveau Testament, l’expiation est effectuée à la fois par le Père et le Fils. Dieu a pris l’initiative et a envoyé son Fils pour nous. Il a agi à travers lui et a partagé ses souffrances.
A la croix se manifestent à la fois châtiment et amnistie, justice et miséricorde. Il n’y a donc pas trois acteurs, mais deux. Nous d’un côté, et Dieu-fait-homme-en-Christ de l’autre. La mort de Christ est présentée comme celle du Fils de Dieu.
Les mots «satisfaction» et «substitution» sont donc très utiles pour exposer la doctrine du salut. Dieu en Christ s’est substitué à nous. C’était le seul moyen pour permettre à la fois la satisfaction du saint amour de Dieu et le salut des êtres humains rebelles.

N.B. : les citations littérales ou approximatives de John Stott sont en italique.

C. Streng

Le Christ dans la maison de Marthe et Marie

Le Christ chez Marthe et Marie, Luc 10 vu par Velasquez

Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, un épisode de Luc 10, peint par Diego Velasquez, peintre espagnol du 17e s

Luc 10.38-42

Pendant qu’ils étaient en route, il entra dans un village, et une femme nommée Marthe le reçut. 39 Sa soeur, appelée Marie, s’était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole.

40 Marthe, qui s’affairait à beaucoup de tâches, survint et dit : Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma soeur me laisse faire le travail toute seule ? Dis-lui donc de m’aider. 41 Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. 42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas retirée.

L’Evangile dans une cuisine d’auberge en Espagne au 17e siècle

Le tableau d’environ 1m sur 60 cm, est exposé à la National Gallery à Londres. Il date de 1618. Velasquez avait 19 ans.
ll représente un épisode de l’Evangile, en arrière plan d’une scène de cuisine d’auberge en Espagne au 17e s.

Le petit tableau dans le grand tableau :  Jésus en visite

A la partie supérieure droite de l’image : un petit tableau encadré de noir se reflète dans le grand tableau.
Ce petit cadre représente la scène biblique de la visite de Jésus chez Marthe et Marie.
C’est une image inversée par un miroir. 
On voit la main gauche de Jésus et non la droite dirigée vers Marie et Marthe

Le peintre a voulu inclure la scène biblique dans un tableau représentant la cuisine d’une auberge de l’Espagne du 17e s.

Deux femmes de Séville  préparant un repas.

Le lien entre la scène de l’auberge et la scène biblique se fait par le doigt de la vieille servante

Elle désigne le tableau à l’arrière plan à droite. Un tableau reflété dans un miroir

Au delà des apparences

Au cours de son dernier voyage vers Jérusalem, avant la croix, Jésus s’arrête à Béthanie, dans une maison amie et accueillante.

Marthe, la maîtresse de maison

Il est toujours bien reçu par la maitresse de maison. Elle porte bien son nom : Marthe, la maitresse. C’est le féminin du mot araméen Mar, Maître, comme dans Maranatha /Maran (notre maître, notre Seigneur) atha (vient). Nous connaissons l’équivalent grec, Kyrios, le maitre, le Seigneur

Marie, la passionnée

Et la jeune sœur Marie, dont le nom peut signifier « excellence » écoute les paroles de Jésus avec un intérêt passionné.

Des symboles traditionnels

Selon l’interprétation traditionnelle (exprimée aussi par les peintres) Marthe et Marie pourraient symboliser la vie active ou la vie contemplative, le monde actuel ou le monde à venir… la justification par les œuvres ou la justification par la foi.

On a souvent fait de Marie le type de l’adoratrice, mais une adoratrice passive, au pied de tous les hommes sages et instruits. Quant aux Marthe(s) leur rôle dans la vie serait de servir les hommes. Cette approche est trop abstraite, trop réductrice.

Un texte libérateur

Jésus utilise plutôt cet épisode pour libérer aussi bien les femmes que les hommes.
Le texte (et son application possible) serait-il très différent si les personnages s’appelaient Martin et Jean-Marie ?

illustré avec précision.

Jésus, assis sur une haute chaise se découpe dans l’ombre d’une porte.
Les verticales du chambranle et de la chaise et sa haute taille lui donnent la stature d’un maître

Une écoute dans la réflexion

Le Seigneur parle. Marie écoute, assise à même le sol. la main sous le menton, dans une attitude d’écoute attentive. C’est la pose classique de la réflexion.

Etre assis au pieds de Jésus : s’instruire

Pas de l’adoration contemplative

Être assis aux pieds de Jésus, ce n’est pas en priorité de la contemplation ou de l’adoration.
L’adoration, c’est plutôt la position de la femme pécheresse repentante qui verse des larmes sur les pieds de Jésus (Luc 7. 38) .

Ce n’est pas l’attitude d’adoration contemplative que l’Eglise catholique (et d’autres) ont réservé par la suite aux femmes ou aux religieuses.

S’instruire, apprendre la Parole

Etre assis aux pieds de Jésus, c’est l’expression juive habituelle de l’époque. C’est une attitude active. Elle signifie s’instruire, apprendre la Parole.
Paul s’instruisait aux pieds de Gamaliel.

Le Christ approuve l’instruction des femmes

Jésus ouvre donc aux femmes la possibilité de s’instruire dans la Parole.
Paul par la suite aura des collaboratrices. Certaines seront expertes dans la Parole comme Prisca.

Pas gagné à son époque !

A cette époque, les femmes étaient exclues de l’instruction de la synagogue.

Des rabbins disaient qu’il valait mieux bruler la Tora (la Bible juive) que de l’enseigner à une femme.
Mais tous n’étaient pas de cet avis. Une histoire du Talmud cite une femme qui écoutait le Rabbi Meir à la synagogue. Philon d’Alexandrie, un lettré juif parle d’une communauté où hommes et femmes étudient la Tora ensemble.

Marthe, préoccupée par la réception

Comme la cuisinière du tableau de Velasquez, Marthe est affairée à divers travaux ou services. V 40. 
Peut-être la préparation d’un repas soigné… et peut-être un peu trop compliqué.

Mais le texte ne dit rien de précis à ce sujet

Marthe est l’ainée. Elle est préoccupée (v. 41) Sa responsabilité, c’est de faire fonctionner correctement la maison.

Deux comportements possibles selon la culture

Selon la culture du pays, il y a deux manières de se comporter.

La culture de la culpabilité

Dans la culture de la culpabilité, on se rend compte qu’on a mal fait et on agit en conséquence : on reconnait sa faute et on en supporte les retombées. J’ai fait un excès de vitesse. Je le reconnais, je paie l’amende et je perds des points…Tant pis pour moi.

La culture de la honte

Dans la culture de la honte, ce qui compte, c’est la bonne impression que l’on donne aux autres, il s’agit surtout de ne pas perdre la face. Pas vu, pas pris.

Une bonne impression, c’est essentiel

Alors présenter à l’hôte de marque un repas excellent (et compliqué ?) dans une maison impeccable est essentiel pour l’image de marque.

Une fausse note serait catastrophique.

Et cela risque bien d’arriver ce jour là justement: trop de travail en trop peu de temps et pas assez de mains pour aider, voici le dilemme.

Un bel exemple de triangulation

Au lieu de demander directement à sa sœur de l’aider, Marthe, debout, désigne Marie d’un geste de la main tout en déclarant

v. 40 Maître, cela ne te dérange pas de voir que ma soeur me laisse seule à servir ? Dis-lui donc de m’aider

Marie, la cadette, n’a-t-elle pas le devoir d’aider son aînée ? Surtout que le travail presse.

Mais il est tout à fait possible que Marie ait participé aux préparatifs avant l’arrivée de l’invité. Et quand Jésus est là, pourquoi ne pourrait-elle pas profiter de sa présence  qui n’est pas si fréquente et écouter ses paroles ?

Ce qui dérange dans le comportement de Marthe

Elle veut échapper à ce qui risquerait de provoquer sa honte. Alors elle essaie de mettre le Seigneur de son côté, … contre sa sœur.

Elle ne sert plus le Seigneur, elle se sert, … elle, …de lui.

Elle ne s’en rend même pas compte… C’est son attitude qui risque justement de provoquer une honte beaucoup plus gênante quand elle sera prise en défaut.

Remarquons aussi le contraste entre Marthe qui dicte à Jésus ce qu’il doit dire et Marie qui écoute ce que Jésus est en train de dire.

Marthe, une disciple fidèle qui perd pied

Mais n’oublions pas non plus la détresse de Marthe. Elle se sent lâchée, par sa sœur mais aussi par Jésus. Elle aussi, elle est bien une disciple fidèle qui reçoit Jésus, le mieux qu’elle peut.

Jésus ne dira pas à Marie d’aider sa soeur

Jésus lui répond :
il lève la main pour signifier son refus

V 41 Marthe, Marthe :

par la répétition du prénom, le Seigneur exprime son insatisfaction devant les paroles de Marthe. 
Il ne répond pas à ce qu’elle demande.

Jésus ne dira donc pas à Marie d’aider sa sœur.
La main levée de Jésus est aussi un geste de bénédiction envers l’attitude de Marie

La seule chose nécessaire

Il insiste sur ce qui est essentiel. Et la seule chose nécessaire, c’est d’accueillir le message du royaume de Dieu. C’est aimer Dieu suffisamment pour être ouvert, réceptif à ses paroles. C’est recevoir le Seigneur, bien le recevoir, l’accueillir de la bonne manière.

C’est l’ouverture de cœur que Marie manifeste en s’asseyant aux pieds de Jésus, c’est sa réceptivité à entendre et à méditer les paroles de la vie éternelle.

Avant le dernier voyage de Jésus vers la croix

Jésus est en route vers Jérusalem, le dernier voyage avant la croix. Le temps à passer avec les deux sœurs est limité. Il aimerait donc qu’elles tirent le plus grand profit de moments d’intimité comme celui-ci.

Un détour par l’Ancien Testament avec Luc l’historien

Pour aller plus loin, dans le sens profond du récit, faisons un détour avec Luc l’historien par l’Ancien Testament. Essayons de reconnaître son intention

Luc ne raconte pas les événements de son évangile au fur et à mesure mais il les classe selon une intention délibérée.

Un voyage  sur le modèle de l’Exode

Le voyage de Jésus vers Jérusalem prend modèle sur l’Exode, le trajet de Moïse vers la terre promise.

Pendant la transfiguration , deux hommes s’entretenaient avec lui : Moïse et Élie  qui resplendissaient de gloire. Ils parlaient de la manière dont Jésus allait achever sa mission en mourant à Jérusalem. Luc 9. 30-31

Lorsque le temps approcha où Jésus devait être enlevé de ce monde, il décida de manière résolue de se rendre à Jérusalem Luc 9.51

Entrent dans la terre promise ceux qui obéissent à la loi de Dieu. De même, on entre dans le royaume de Dieu, dans la vie éternelle, en suivant la Parole du Christ.

Les récits de la partie centrale de son Evangile à partir du chapitre 10 sont des applications pratiques des commandements législatifs du Deutéronome.

Ecoute de la Parole et signification du récit de la manne

Luc lie l’épisode avec Marthe et Marie, en particulier Luc 10.39 (l’écoute de la Parole par Marie) à la signification du récit de la manne dans Deutéronome 8.3

et il t’a nourri avec cette manne que tu ne connaissais pas et que tes ancêtres n’avaient pas connue. De cette manière, il voulait t’apprendre que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de toute parole prononcée par l’Éternel

Les vrais disciples sont nourris par la parole de Jésus, parce que c’est la parole de Dieu.
Cette Parole avec la promesse de la vie éternelle est offerte à ceux/celles qui, comme Marie s’assoient aux pieds de Jésus.
Aimer Dieu, c’est donc comme Marie, écouter la parole de son Messie pour mieux la connaître et aussi la mettre en pratique.

Un dépouillement favorable à l’écoute

Des murs nus, un chaise dure.
Une seule tache claire : un simple broc de faïence posé sur une table basse sans ornements.
C’est un pot à eau, le plus humble des liquides.
Marie, écoutant l’instruction de Jésus, n’a pas besoin d’autre chose.

Marie a choisi la bonne part v. 42

Ce bon choix c’est aussi celui du psalmiste du Ps 73

V.26. Dieu reste mon rocher, mon bien précieux pour toujours…

V. 28 Mon bonheur à moi, c’est d’être toujours près de Dieu. Oui, j’ai placé dans le Seigneur, dans l’Eternel mon sûr refuge et je raconterai ses œuvres.

Marie met en pratique la parole de Jésus de Luc 4.4 qui reprend Deutéronome 8.3 : l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

Le langage de l’élection

Pour parler de Marie, Jésus utilise le langage de l’élection (elle a choisi). Il attire ainsi l’attention sur la relation entre lui, le Messie, l’élu de Dieu : Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi. Écoutez-le ! (Lc 9.35) et les élus, ses apôtres qu’il a choisis (6.13) et aussi ceux à qui il a choisi de se révéler

Mon Père a remis toutes choses entre mes mains. Personne ne sait qui est le Fils, si ce n’est le Père ; et personne ne sait qui est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. 10.22.

Le vrai disciple pratique l’enseignement du Christ

Jésus approuve Marie car elle écoute sa parole (v 39). Le vrai disciple doit pratiquer l’enseignement du Christ afin de vivre Pour entrer dans le royaume des cieux, il ne suffit pas de me dire : « Seigneur ! Seigneur ! » Il faut accomplir la volonté de mon Père céleste (Mt 7. 21 s

Peinture du moment qui suit la crise

Velasquez a choisi de peindre le moment qui suit immédiatement la crise.

La vieille femme : la Marthe qui fait des reproches


Elle a le visage rude, des traits sévères accentués par la pénombre. Un air pincé : le front plissé, des rides au coin des lèvres et autour de la bouche.

Elle porte des vêtements austères : robe noire, chemisier blanc et fichu. Le même genre de vêtement et … de fichu que la sœur de Lazare

D’un index accusateur, elle montre à la jeune servante la scène qui se passe dans la maison de Marthe et de Marie.

Elle pourrait représenter Marthe, la maîtresse de maison qui mène sa barque, …la sœur ainée qui dirige son petit monde, …l’hôtesse qui veut que tout soit parfait pour recevoir l’hôte de marque, l’ami, Jésus, le Seigneur. La Marthe qui fait des reproches quand ça ne fonctionne pas comme elle le voudrait : Dis lui donc de m’aider.

La jeune cuisinière, l’autre Marthe, se croyant désavouée

La jeune cuisinière de l’auberge est une paysanne …aux mains gonflées par un travail long et pénible. Elle a des traits grossiers, l’oreille rouge décollée, des lèvres rouges et humides

Elle semble prête à pleurer : … les pommettes rouges, la bouche affaissée… Les yeux brillants au bord des larmes..

Elle peut, elle aussi, représenter Marthe, …une autre Marthe
Pas la Marthe, maîtresse de maison honorant son hôte et recevant en retour l’approbation…
Mais la Marthe en proie à l’émotion…. À un certain ressentiment peut-être. La Marthe sûre de bien faire mais se croyant désavouée par les paroles de Jésus

La vieille Marthe raisonnable fait la leçon à la jeune Marthe, au bord des pleurs

La vieille, Marthe, son côté raisonnable, fait la leçon à la jeune Marthe, au bord des larmes. Elle prend à témoin la scène biblique qu’elle désigne du doigt avec insistance …

Peut-être lui reproche-t-elle (se reproche-t-elle à elle-même ) sa conduite ?
Pourquoi ne pas prendre exemple sur Marie et écouter le Christ? …

Comment réagissons-nous aux reproches ?

Comment la Marthe de l’Evangile, la jeune servante ou nous-mêmes réagissons nous à des reproches que nous pensons exagérés ou injustes ? Le texte biblique n’a pas ajouté de verset 43 pour donner la solution. C’est à chacun de réfléchir…

Elle ferait bien (je ferais bien) de méditer … la leçon donnée à Marthe … Marie, … a choisi la meilleure part … Et moi, que vais-je faire ?

Marthe a compris la leçon

Et Marthe a sans doute réfléchi de la bonne manière. Elle a compris la leçon.
Au moment de la mort de son frère Lazare, elle manifeste, comme Marie toute sa confiance envers Jésus (Jean 11).

Et plus tard, elle exerce ses talents de bonne cuisinière dans un grand repas donné en l’honneur du Seigneur et de Lazare ressuscité. (Jean 12)

Marthe… ou… Marie, Marie et Marthe

Marthe reste Marthe, la pratique. Mais elle essaie aussi d’être un peu Marie, celle qui aime apprendre pour mieux connaître le Seigneur.

Marthe… ou…. Marie, Martin le pratique …ou…. Mario, l’intellectuel ?
Deux types de personnes opposées ? Risquent-elles le conflit ?

Pas nécessairement. Chacun, chacune doit apprendre à reconnaître que l’autre a reçu du Seigneur, ses dons et son appel particulier.

Pas nécessairement si on choisit de considérer l’autre comme supérieur à soi. Il ne s’agit pas de se dénigrer (je suis nul parce que je n’ai pas fait d’études). Il s’agit plutôt de reconnaître la valeur de l’autre, la valeur de sa personne devant Dieu, la valeur de son service…

Plutôt Marthe et Marie, ou alors Martin et Mario.

Les deux types de personnes peuvent se côtoyer dans la famille et dans la société et aussi dans l’Eglise.

Elles peuvent même cohabiter dans la même personne …

A certains moments, on est plutôt Marie : réfléchir, s’instruire et progresser dans la compréhension de la Bible, pour la communiquer plus loin

A d’autres moments , il vaut mieux être Marthe qui s’affaire à la cuisine, au jardin, auprès des enfants etc…

Un vieux prédicateur disait : « Marie et Marthe, je les aime toutes les deux. Marthe avant le repas et Marie après !

Si nous avons l’impression d’être plutôt Marthe, apprenons aussi quelque chose de Marie. Et si nous ressemblons plutôt à Marie, nous avons sans doute des leçons à prendre auprès de Marthe.

C. Streng